Nous avons vu que le développement de deux chemins différents, partant et aboutissant à
deux mêmes points, donne des repères dont les positions finales sont distinctes. Par suite,
les composantes de la dérivée seconde d’un vecteur, calculées selon deux chemins
différents, ne sont pas égales.
Calculons la dérivée covariante seconde d’un vecteur en utilisant deux chemins
différents. Considérons un espace de Riemann de coordonnées $u^{i}$ et déterminons la dérivée
covariante seconde par rapport à $u^{j}$, puis par rapport à $u^{k}$ et ensuite, inversons l’ordre des
dérivations.
Pour cela, reprenons l’expression (5.2.41) de la dérivée covariante seconde d’un vecteur $\mathbf {V}$de composantes covariantes $v_{i}$, soit :
\begin{equation}
\begin{array}[b]{lcl}
\nabla_{k}(\nabla_{j}\,v_{i})& = & \partial_{kj}\,v_{i}-(\partial_{k}\,\sgammaeq{j}{l}{i})\,v_{l}-\sgammaeq{j}{l}{i}\,\partial_{k}\,v_{l}-\sgammaeq{i}{r}{k}\,\partial_{j}\,v_{r}\\
& & \\
& & +\,\sgammaeq{i}{r}{k}\,\sgammaeq{j}{l}{r}\,v_{l}-\sgammaeq{j}{r}{k}\,\partial_{r}\,v_{i}+\sgammaeq{j}{r}{k}\,\sgammaeq{r}{l}{i}\,v_{l}
\tag{6.6.1}
\label{6.6.1}
\end{array}
\end{equation}
Calculons à présent la dérivée covariante d’abord par rapport à $u^{k}$ puis par rapport à $u^{j}$. On obtient, en permutant les indices $j$ et $k$ dans l’expresion précédente :
\begin{equation}
\begin{array}[b]{lcl}
\nabla_{j}(\nabla_{k}\,v_{i}) & = & \partial_{jk}\,v_{i}-(\partial_{j}\,\sgammaeq{k}{l}{i})\,v_{l}-\sgammaeq{k}{l}{i}\,\partial_{j}\,v_{l}-\sgammaeq{i}{r}{j}\,\partial_{k}\,v_{r}\\
& & \\
& & +\,\sgammaeq{i}{r}{j}\,\sgammaeq{k}{l}{r}\,v_{l}-\sgammaeq{k}{r}{j}\,\partial_{r}\,v_{i}+\sgammaeq{j}{r}{k}\,\sgammaeq{r}{l}{i}\,v_{l}
\tag{6.6.2}
\label{6.6.2}
\end{array}
\end{equation}
En admettant que les composantes vérifient les propriétés classiques $\partial _{kj}\,v_{i}=\partial _{jk}\,v_{i}$, on obtient par soustraction des deux expressions précédentes :
\begin{equation}
\nabla_{k}(\nabla_{j}\,v_{i})-\nabla_{j}(\nabla_{k}\,v_{i}) = (\partial_{j}\,\sgammaeq{i}{l}{k}-\partial_{k}\,\sgammaeq{i}{l}{j}+\sgammaeq{i}{r}{k}\,\sgammaeq{j}{l}{r}-\sgammaeq{i}{r}{j}\,\sgammaeq{k}{l}{r})\,v_{l}
\tag{6.6.3}
\label{6.6.3}
\end{equation}
Par suite des propriétés tensorielles des dérivées covariantes et des composantes $v_{l}$, la quantité entre parenthèses est un tenseur d’ordre quatre que l’on note :
\begin{equation}
\Rcontraeq{i}{l}{j}{k}=\partial_{j}\,\sgammaeq{i}{l}{k}-\partial_{k}\,\sgammaeq{i}{l}{j}+\sgammaeq{i}{r}{k}\,\sgammaeq{j}{l}{r}-\sgammaeq{i}{r}{j}\,\sgammaeq{k}{l}{r}
\tag{6.6.4}
\label{6.6.4}
\end{equation}
Le tenseur $\Rcontraeq {i}{l}{j}{k}$ est appelé tenseur de Riemann-Christoffel ou tenseur de courbure de l’espace riemannien. La courbure d’un espace de Riemann va être caractérisée à l’aide de ce tenseur. Auparavant nous allons voir certaines propriétés du tenseur de Riemann-Christoffel.
Les composantes covariantes du tenseur de Riemann-Christoffel sont données par :
\begin{equation}
R_{ijrs}=g_{jk}\,\Rcontraeq{i}{k}{r}{s}
\tag{6.6.5}
\label{6.6.5}
\end{equation}
Utilisons les relations suivantes entre les symboles de Christoffel de première et de deuxième espèce :
\begin{equation}
g_{jk}\,\sgammaeq{r}{k}{l}=\Gamma_{jrl}\,\,\,\,;\,\,\,\,g_{jk}\,\sgammaeq{s}{k}{l}=\Gamma_{jsl}
\tag{6.6.6}
\label{6.6.6}
\end{equation}
et remplaçons les quantités $g_{jk}\,\partial _{r}\,\sgammaeq {i}{k}{s}$ par $\partial _{r}(g_{jk}\,\sgammaeq {i}{k}{s})-\sgammaeq {i}{k}{s}\,\partial _{r}\,g_{jk}$ dans la relation (6.6.5). On obtient, après permutation de $k$ et $l$ :
\begin{equation}
R_{ijrs}=\partial_{r}\,(g_{jk}\,\sgammaeq{i}{k}{s})-\partial_{s}\,(g_{jk}\,\sgammaeq{i}{k}{r})+\sgammaeq{i}{l}{s}\,(\Gamma_{jrl}-\partial_{r}\,g_{jl})-\sgammaeq{i}{l}{r}\,(\Gamma_{jsl}-\partial_{s}\,g_{jl})
\tag{6.6.7}
\label{6.6.7}
\end{equation}
La relation (5.1.28) nous donne :
\begin{equation}
\pgammaeq{ikj}-\partial_{k}\,g_{ij}=-\pgammaeq{jki}
\tag{6.6.8}
\label{6.6.8}
\end{equation}
Après permutation sur les indices et utilisation des relations (6.6.6) dans l’expression (6.6.8), on obtient :
\begin{equation}
R_{ijrs}=\partial_{r}\,\Gamma_{jis}-\partial_{s}\,\Gamma_{jir}-\sgammaeq{r}{k}{j}\,\Gamma_{iks}+\sgammaeq{s}{k}{j}\,\Gamma_{kir}
\tag{6.6.9}
\label{6.6.9}
\end{equation}
Remplaçons les symboles de Christoffel par leur expression en fonction des coefficients $g_{ij}$ de l’élément linéaire ; on a selon la relation (5.1.38) :
\begin{equation}
2\,\partial_{r}\,\sgammaeq{i}{j}{s}=\partial_{ri}\,g_{sj}+\partial_{rs}\,g_{ji}-\partial_{rj}\,g_{is}
\tag{6.6.10}
\label{6.6.10}
\end{equation}
Reportant les expressions (6.6.10) dans (6.6.9), on obtient finalement :
\begin{equation}
R_{ijrs}=\dfrac{1}{2}\,(\partial_{ri}\,g_{sj}+\partial_{sj}\,g_{ir}-\partial_{rj}\,g_{is}-\partial_{si}\,g_{rj})-\sgammaeq{r}{k}{j}\,\Gamma_{kis}+\sgammaeq{s}{k}{j}\,\Gamma_{kir}
\tag{6.6.11}
\label{6.6.11}
\end{equation}
Il est intéressant d’introduire un système de coordonnées locales particulières pour les
espaces de Riemann, appelées coordonnées normales, car elles permettent de simplifier
considérablement la démonstration de certaines identités, en particulier pour le tenseur
de Riemann-Christoffel.
Soit un point $M_{0}$ d’un espace riemannien, de coordonnées $y^{i}$. Donnons-nous en ce point un
vecteur unitaire $\mathbf {n}$ de direction arbitraire, de composantes $n^{i}$. Pour chaque point $M$
situé au voisinage de $M_{0}$, on démontre qu’il existe un seul choix de direction $\mathbf {n}$ en $M_{0}$
de telle sorte qu’une géodésique $z^{i}(s)$, solution des équations (6.4.22), passe par
$M$.
Prenons pour chaque point $M$ du voisinage de $M_{0}$, les coordonnées suivantes :
\begin{equation}
z^{i}=s\,n^{i}
\tag{6.6.12}
\label{6.6.12}
\end{equation}
où $s$ est la distance le long de la géodésique de $M_{0}$ en $M$. Les coordonnées $z^{i}$ sont appelées les
coordonnées normales du point $M$.
La propriété essentielle des coordonnées normales réside dans le fait que, au point $M_{0}$, les symboles de Christoffel du système de coordonnées sont tous nuls, de même que les dérivées $\partial _{k}\,g_{ij}$ en ce point. Démontrons qu’il en est bien ainsi. Selon (6.6.12), on obtient pour $n^{i}$ fixé :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}z^{i}}{\text{d}s}=n^{i}\,\,\,\,;\,\,\,\,\dfrac{d^{2}\,z^{i}}{\text{d}s^{2}}=0
\tag{6.6.13}
\label{6.6.13}
\end{equation}
L’équation des géodésiques écrite en coordonnées $z^{i}$ devient alors, compte tenu de (6.6.13), pour toutes les directions en $M_{0}$ :
\begin{equation}
\sgammaeq{j}{i}{k}\,n^{j}\,n^{k}=0
\tag{6.6.14}
\label{6.6.14}
\end{equation}
Puisque $\sgammaeq {j}{i}{k}$ est symétrique par rapport aux indices $j$, $k$, on a pour tout $i$ : $\sgammaeq {j}{i}{k}=0$ en $M_{0}$ pour tout $i$, $j$, $k$. De plus, on a les relations :
\begin{equation}
\Gamma_{kij}=g_{kr}\,\sgammaeq{i}{r}{j}=0\,\,\,\,;\,\,\,\,\Gamma_{kij}+\Gamma_{ijk}=\partial_{k}\,g_{ij}
\tag{6.6.15}
\label{6.6.15}
\end{equation}
d’où : $\partial _{k}\,g_{ij}=0$ en $M_{0}$. D’autre part, puisque l’on a : $g^{ij}\,g_{jr}=\delta ^{ir}$, la dérivée des produits conduit à $\partial _{k}\,g^{ij}=0$ en
$M_{0}$.
L’utilisation des coordonnées normales $z^{i}$ va nous permettre de démontrer plus aisément les propriétés de symétrie du tenseur de Riemann-Christoffel.
En coordonnées normales $z^{i}$, l’expression (6.6.11) du tenseur de courbure se simplifie puisque les symboles de Christoffel sont tous nuls ; il vient :
\begin{equation}
R_{ijrs}=\dfrac{1}{2}\,(\partial_{ri}\,g_{sj}+\partial_{sj}\,g_{ir}-\partial_{rj}\,g_{is}-\partial_{si}\,g_{rj})
\tag{6.6.16}
\label{6.6.16}
\end{equation}
où les composantes $g_{ij}$ du tenseur métrique sont des fonctions des coordonnées normales. En permutant les indices, on obtient aisément les propriétés de symétrie suivantes qui restent valables pour tout système de coordonnées car une propriété de symétrie sur les indices est une notion indépendante du repère utilisé pour la décrire. Permutons les indices $i$ et $j$ dans la relations (6.6.16), on obtient :
\begin{equation}
R_{jirs}=\dfrac{1}{2}\,(\partial_{rj}\,g_{si}+\partial_{si}\,g_{jr}-\partial_{ri}\,g_{js}-\partial_{sj}\,g_{ri})=-R_{ijrs}
\tag{6.6.17}
\label{6.6.17}
\end{equation}
De même, en permutant $r$ et $s$, on obtient :
\begin{equation}
R_{ijrs}=-R_{ijsr}
\tag{6.6.18}
\label{6.6.18}
\end{equation}
Enfin, en permutant les indices $ij$ et $rs$, on obtient, par suite de la symétrie des $g_{ij}$ et en intervertissant leur ordre de dérivation :
\begin{equation}
R_{ijrs}=R_{rsij}
\tag{6.6.19}
\label{6.6.19}
\end{equation}
Effectuons une permutation circulaire sur les indices $j$, $r$, $s$ dans l’expression (6.6.16), il vient :
\begin{equation}
R_{irsj}=\dfrac{1}{2}\,(\partial_{jr}\,g_{is}+\partial_{is}\,g_{jr}-\partial_{rs}\,g_{ij}-\partial_{ij}\,g_{rs})
\tag{6.6.20}
\label{6.6.20}
\end{equation}
\begin{equation}
R_{isjr}=\dfrac{1}{2}\,(\partial_{rs}\,g_{ij}+\partial_{ij}\,g_{rs}-\partial_{js}\,g_{ir}-\partial_{ir}\,g_{js})
\tag{6.6.21}
\label{6.6.21}
\end{equation}
L’addition des relations (6.6.16), (6.6.20) et (6.6.21) nous donne :
\begin{equation}
R_{ijrs}+R_{irsj}+R_{isjr}=0
\tag{6.6.22}
\label{6.6.22}
\end{equation}
L’identité précédente est appelée la première identité de Bianchi.
Les propriétés d’antisymétrie (6.6.17) et (6.6.18) montrent qu’un certain nombre de
composantes $R_{ijrs}$ lorsque $i=j$ ou $r=s$, sont nulles. D’autre part, la relation (6.6.19) ainsi que la
première identité de Bianchi montrent que de nombreuses composantes se déduisent l’une
de l’autre.
Le nombre total des composantes du tenseur de courbure d’un espace de Riemann à $n$
dimensions qui ne sont pas nulles et qui sont indépendantes des autres composantes, est
égal à : $n^{2}(n^{2}-1)/12$.
Ainsi, pour un espace de Riemann de dimension deux, le tenseur de Riemann-Christoffel a une seule composante indépendante. Parmi les 16 composantes $R_{ijrs}$, les seules composantes non nulles sont :
\begin{equation}
R_{1212}=R_{2121}=-R_{1221}=-R_{2112}
\tag{6.6.23}
\label{6.6.23}
\end{equation}