3.5 Opérations sur les tenseurs

  3.5.1 Addition de tenseurs du même ordre
  3.5.2 Multiplication tensorielle
  3.5.3 Contraction des indices
  3.5.4 Multiplication contractée
  3.5.5 Critères de tensorialité

3.5.1 Addition de tenseurs du même ordre

Les tenseurs vont suivre la règle classique d’addition des vecteurs. Si l’on se donne deux tenseurs $\beq {U}=u^{ijk}\,\beq {e_{i}}\otimes \beq {e_{j}}\otimes \beq {e_{k}}$ et $\beq {V}=v^{ijk}\,\beq {e_{i}}\otimes \beq {e_{j}}\otimes \beq {e_{k}}$, l’addition leur fait correspondre un autre tenseur $\mathbf {T}$ dont les composantes contravariantes sont la somme des composantes contravariantes des tenseurs $\mathbf {U}$ et $\mathbf {V}$, soit :

\begin{equation} \beq{T}=\beq{U}+\beq{V}=(u^{ijk}+v^{ijk})\,\beq{e_{i}}\otimes\beq{e_{j}}\otimes\beq{e_{k}}  
\tag{3.5.1}  
\label{3.5.1} \end{equation}

Pour s’additionner, les tenseurs doivent évidemment être rapportés à une même base. La somme des composantes covariantes de deux tenseurs donne les composantes covariantes de leur somme. Il en est de même pour les composantes mixtes relatives à une même base.

3.5.2 Multiplication tensorielle

Les espaces produits tensoriels étant également des espaces vectoriels, ils peuvent être utilisés pour former d’autres espaces produits tensoriels.

Soit, par exemple, un tenseur $\mathbf {U}$ appartenant à un espace $E_{n}^{(2)}$ et un autre $\mathbf {V}$, élément d’un autre espace $E_{n}^{(3)}$. La multiplication tensorielle va leur faire correspondre un tenseur d’ordre cinq. Soient $u^{ij}$ et $v^{klm}$ leurs composantes respectives ; le produit tensoriel $\beq {T}=\beq {U}\otimes \beq {V}$ aura pour composantes :

\begin{equation} w^{ijklm}=u^{ij}\,v^{klm}  
\tag{3.5.2}  
\label{3.5.2} \end{equation}

Le produit tensoriel $\mathbf {T}$ est un tenseur de l’espace produit tensoriel $E_{n}^{(5)}=E_{n}^{(2)}\otimes E_{n}^{(3)}$. Si l’on considère que les grandeurs scalaires sont des tenseurs d’ordre zéro, la multiplication d’un tenseur par un scalaire apparaît alors comme un cas particulier de la multiplication tensorielle.

3.5.3 Contraction des indices

En dehors des opérations d’addition et de multiplication tensorielle, il existe une opération qui permet, à partir d’un tenseur donné, d’en obtenir d’autres : c’est l’opération de contraction des indices.

Exemple : produit scalaire - Considérons le produit tensoriel de deux vecteurs $\mathbf {x}$ et $\mathbf {y}$ de composantes respectives contravariantes $x^{i}$ et covariantes $y_{j}$. Les composantes mixtes du produit tensoriel $\mathbf {V}$ de ces deux vecteurs sont :

\begin{equation} v^{i}_{j}=x^{i}\,y_{j}  
\tag{3.5.3}  
\label{3.5.3} \end{equation}

Effectuons l’addition des différentes composantes du tenseur $\mathbf {V}$ telles que $i=j$, soit :

\begin{equation} v=x^{i}\,y_{i}  
\tag{3.5.4}  
\label{3.5.4} \end{equation}

On obtient l’expression du produit scalaire des vecteurs $\mathbf {x}$ et $\mathbf {y}$ ; la quantité $v$ est un scalaire ou tenseur d’ordre zéro. Une telle addition des indices de variance différente constitue, par définition, l’opération de contraction des indices du tenseur $\mathbf {V}$. Cette opération a permis de passer d’un tenseur d’ordre deux à un tenseur d’ordre zéro ; le tenseur $\mathbf {V}$ a été amputé d’une covariance et d’une contravariance.

Exemple : tenseur d’ordre trois - Prenons l’exemple d’un tenseur $\mathbf {U}$ dont les composantes mixtes sont $u^{ij}_{k}$. Considérons certaines de ses composantes telles que $j=k$, à savoir les quantités $u^{ij}_{j}$ et effectuons l’addition de ces dernières ; on obtient :

\begin{equation} v^{i}=u^{i1}_{1}+u^{i2}_{2}+...+u^{in}_{n}=\delta^{k}_{j}\,u^{ij}_{k}  
\tag{3.5.5}  
\label{3.5.5} \end{equation}

Ces nouvelles quantités $v^{i}$ forment les composantes d’un tenseur $\mathbf {V}$ d’ordre un (vecteur) ainsi qu’on va le vérifier. Les quantités $v^{i}$ constituent des composantes contractées du tenseur $\mathbf {U}$.

Vérifions que les quantités $v^{i}$ satisfont bien aux formules de changement de base des vecteurs. Pour cela, supposons que les composantes $u^{ij}_{k}$ du tenseur $\mathbf {U}$ aient été définies sur une base $\mathbf {e_{i}}$ et choisissons une autre base $\mathbf {e'_{k}}$ telle que :

\begin{equation} (a)\,\,\, \beq{e_{i}}=A’^{k}_{i}\,\beq{e’_{k}} \,\,\,;\,\,\,(b)\,\,\, \beq{e’_{k}}=A^{i}_{k}\,\beq{e_{i}}  
\tag{3.5.6}  
\label{3.5.6} \end{equation}

Dans la base $\mathbf {e'_{k}}$, le tenseur $\mathbf {U}$ a comme nouvelles composantes contractées :

\begin{equation} v’^{l}=\delta^{h}_{m}\,u’^{lm}_{h}  
\tag{3.5.7}  
\label{3.5.7} \end{equation}

où les nouvelles composantes $u'^{lm}_{h}$ ont pour expression : $u'^{lm}_{h}=A'^{l}_{i}\,A'^{m}_{j}\,A^{k}_{h}\,u^{ij}_{k}$.

On obtient alors pour expression des composantes contractées données par la relation (3.5.5) :

\begin{equation} v’^{l}=\delta^{h}_{m}\,A’^{l}_{i}\,A’^{m}_{j}\,A^{k}_{h}\,u^{ij}_{k}=A’^{l}_{i}\,(\delta^{h}_{m}\,A’^{m}_{j}\,A^{k}_{h})\,u^{ij}_{k}=A’^{l}_{i}\,(A’^{m}_{j}\,A^{k}_{m})\,u^{ij}_{k}  
\tag{3.5.8}  
\label{3.5.8} \end{equation}

Avec la relation suivante : $A'^{m}_{j}\,A^{k}_{m}=\delta ^{k}_{j}$, l’expression (3.5.8) devient :

\begin{equation} v’^{l}=A’^{l}_{i}\,\delta^{k}_{j}\,u^{ij}_{k}=A’^{l}_{i}\,v^{i}  
\tag{3.5.9}  
\label{3.5.9} \end{equation}

On obtient la formule de transformation des composantes d’un tenseur d’ordre un. On dit que le tenseur $\mathbf {V}$ est le tenseur contracté, en $j$ et $k$, du tenseur $\mathbf {U}$.

La contraction des composantes mixtes d’un tenseur ampute simultanément ces composantes d’une covariance et d’une contravariance. Dans l’exemple précédent, on est ainsi passé d’un tenseur d’ordre trois à un tenseur d’ordre un.

Tenseur d’ordre quelconque - L’opération de contraction consiste donc, après avoir choisi deux indices, l’un covariant, l’autre contravariant, à les égaler et à sommer par rapport à cet indice deux fois répété.

Si l’on part de l’expression des composantes contravariantes ou covariantes d’un tenseur, on peut abaisser ou élever l’un des indices par multiplication par $g_{ij}$ ou $g^{ij}$ et sommation, afin d’obtenir des composantes mixtes sur lesquelles on effectue l’opération de contraction.

Considérons un tenseur euclidien $\mathbf {U}$ de composantes contravariantes $u^{i_{1}\,i_{2}\,...,\,i_{p}}$. Écrivons les composantes mixtes de $\mathbf {U}$ en abaissant à la position covariante l’indice $i_{1}$ par exemple, soit :

\begin{equation} u^{i_{2}\,...,\,i_{p}}_{j_{1}}=g_{i_{1}\,j_{1}}\,u^{{i_{1}}\,i_{2}\,...,\,i_{p}}  
\tag{3.5.10}  
\label{3.5.10} \end{equation}

Choisissons par exemple l’indice $i_{2}$ et effectuons la contraction avec l’indice $j_{1}$, posons $i_{2}=j_{1}=k$ ; il vient :

\begin{equation} v^{i_{3}\,i_{4}\,...,\,i_{p}}=u^{k\,i_{3}\,...,\,i_{p}}_{k}=g_{i_{1}\,k}\,u^{i_{1}\,k\,i_{3}\,...\,i_{p}}  
\tag{3.5.11}  
\label{3.5.11} \end{equation}

On obtient un tenseur d’ordre $(p-2)$. Par suite de la symétrie des quantités $g_{ij}$, ce tenseur est identique à celui que l’on obtient en abaissant à la position covariante l’indice $i_{2}$ puis en effectuant la contraction avec l’indice $i_{1}$, soit :

\begin{equation} v^{i_{3}\,i_{4}\,...,\,i_{p}}=u^{k\,i_{3}\,...,\,i_{p}}_{k}=g_{i_{2}\,k}\,u^{k\,i_{2}\,i_{3}\,...\,i_{p}}  
\tag{3.5.12}  
\label{3.5.12} \end{equation}

De manière générale, la contraction d’un tenseur permet de former un tenseur d’ordre $(p-2)$ à partir d’un tenseur d’ordre $p$. On peut naturellement répéter l’opération de contraction. Ainsi, un tenseur d’ordre pair, $2p$, deviendra un scalaire après $p$ contractions et un tenseur d’ordre impair, $2p+1$, deviendra un vecteur.

3.5.4 Multiplication contractée

L’utilisation successive de la multiplication tensorielle puis de la contraction d’indices s’appelle la multiplication contractée.

L’exemple précédent (3.5.3) du produit tensoriel de deux vecteurs puis de la contraction du tenseur (3.5.4) donnant un produit scalaire, est un exemple de multiplication contractée des tenseurs $\mathbf {x}$ et $\mathbf {y}$ d’ordre un.

Considérons les composantes de deux tenseurs, $u^{ijk}$ et $v_{lmrs}$ par exemple. Leur produit tensoriel donne un nouveau tenseur $\mathbf {W}$ d’ordre sept, de composantes :

\begin{equation} w^{ijk}_{\,\,\,\,\,\,\,\,\,lmrs}=u^{ijk}\,v_{lmrs}  
\tag{3.5.13}  
\label{3.5.13} \end{equation}

Effectuons une contraction du produit tensoriel sur les indices $i$ et $l$, par exemple ; on obtient l’un des produits contractés possibles à partir du tenseur $\mathbf {W}$, formant un tenseur d’ordre cinq :

\begin{equation} t^{jk}_{\,\,\,\,\,\,mrs}=u^{ijk}\,v_{imrs}  
\tag{3.5.14}  
\label{3.5.14} \end{equation}

L’opération de contraction peut être répétée encore deux fois sur ce même tenseur, aboutissant à un tenseur d’ordre un.

3.5.5 Critères de tensorialité

On a vu, jusqu’à présent, deux manières de reconnaître le caractère tensoriel d’une suite de quantités.

La première consiste à démontrer que ces quantités sont formées par le produit tensoriel des composantes de vecteurs ou par une somme de produits tensoriels. Ce critère résulte directement de la définition même des tenseurs.

La deuxième consiste à étudier la manière dont ces quantités se transforment lors d’un changement de base et à vérifier la conformité des formules de transformation.

La multiplication contractée va nous permettre d’obtenir un autre critère de tensorialité qui peut être d’un maniement plus facile et plus rapide que les précédents. Les démonstrations vont être effectuées sur des exemples mais elles se généralisent à des tenseurs d’ordre quelconque.

Produit complètement contracté - Considérons la suite des $n^{3}$ quantités $u^{ij}_{k}$, attachées à une base $\beq {e_{i}}\otimes \beq {e_{j}}\otimes \beq {e^{k}}$ et cherchons un moyen de déterminer si elles peuvent constituer les composantes d’un tenseur.

Soit d’autre part, des vecteurs $\beq {x}=x_{i}\,\beq {e^{i}}$, $\beq {y}=y_{j}\,\beq {e^{j}}$, $\beq {z}=z^{k}\,\beq {e_{k}}$. Si la suite $u^{ij}_{k}$ est tensorielle, alors le produit contracté :

\begin{equation} \alpha=u^{ij}_{k}\,x_{i}\,y_{j}\,z^{k}  
\tag{3.5.15}  
\label{3.5.15} \end{equation}

constitue une quantité scalaire, invariante par changement de base, selon les propriétés du produit contracté.

Réciproquement, supposons qu’un tel produit soit un scalaire et démontrons alors que les quantités $u^{ij}_{k}$ qui figurent dans ce produit, sont tensorielles. Appelons respectivement $x'_{l}$,$y'_{m}$ et $z'^{r}$, les composantes des vecteurs $\mathbf {x}$, $\mathbf {y}$ et $\mathbf {z}$ dans une nouvelle base $\mathbf {e'_{l}}$ telle que :

\begin{equation} (a)\,\,\, \beq{e_{j}}=A’^{m}_{j}\,\beq{e’_{m}} \,\,\,;\,\,\,(b)\,\,\, \beq{e’_{l}}=A^{i}_{l}\,\beq{e_{i}}  
\tag{3.5.16}  
\label{3.5.16} \end{equation}

Les composantes du tenseur sont notées $u'^{lm}$ dans la nouvelle base $\mathbf {e'_{l}}$. Écrivons que le produit (3.5.15) est un scalaire indépendant de la base, soit, en tenant compte des formules de changement de base des composantes :

\begin{equation} u’^{lm}_{r}\,x’_{l}\,y’_{m}\,z’^{r}=u^{ij}_{k}\,x_{i}\,y_{j}\,z^{k}=u^{ij}_{k}\,(A’^{l}_{i}\,A’^{m}_{j}\,A^{k}_{r})\,x’_{l}\,y’_{m}\,z’^{r}  
\tag{3.5.17}  
\label{3.5.17} \end{equation}

Puisque le choix des vecteurs $\mathbf {x}$,$\mathbf {y}$ et $\mathbf {z}$ est arbitraire, cette dernière égalité doit être assurée quelles que soient les quantités $x'_{l}$, $y'_{m}$ et $z'^{r}$, ce qui implique :

\begin{equation} u’^{lm}_{r}=u^{ij}_{k}\,(A’^{l}_{i}\,A’^{m}_{j}\,A^{k}_{r})  
\tag{3.5.18}  
\label{3.5.18} \end{equation}

ce qui montre le caractère tensoriel des quantités $u^{ij}_{k}$.

En généralisant, on aboutit à la conclusion suivante : pour qu’un ensemble de $n^{p+q}$ quantités, comportant $p$ indices supérieurs et $q$ indices inférieurs, soit tensoriel, il faut et il suffit que leur produit complètement contracté par les composantes covariantes de $p$ vecteurs quelconques et les composantes contravariantes de $q$ vecteurs quelconques, soit une quantité qui demeure invariante par changement de base.

Critère général de tensorialité - Lorsque le produit n’est pas complètement contracté, on obtient un critère de tensorialité qui généralise le précédent.

Considérons toujours l’exemple des quantités $u^{ij}_{k}$ et soit le produit contracté sur l’indice $k$, pour un vecteur $\mathbf {z}$ arbitraire :

\begin{equation} v^{ij}=u^{ij}_{k}\,z^{k}  
\tag{3.5.19}  
\label{3.5.19} \end{equation}

Si $u^{ij}_{k}$ est une suite tensorielle, on a vu que le produit contracté $v^{ij}$ est tensoriel.

Réciproquement, si $v^{ij}$ est une suite tensorielle, alors la quantité $v^{ij}\,x_{i}\,y_{j}$, étant un produit contracté, est un scalaire, pour des choix arbitraires des vecteurs $\mathbf {x}$ et $\mathbf {y}$. Dans ce cas, la quantité $u^{ij}_{k}\,x_{i}\,y_{j}\,z^{k}$ (égale à $v^{ij}\,x_{i}\,y_{j}$) est un scalaire, pour des choix arbitraires des vecteurs $\mathbf {x}$, $\mathbf {y}$ et $\mathbf {z}$. C’est précisement le critère de tensorialité des quantités $u^{ij}_{k}$ qui a été démontré précédemment.

Ce critère de tensorialité est donc le suivant : pour que $n^{3}$ quantités $u^{ij}_{k}$, attachées à une base, soient les composantes d’un tenseur, il faut et il suffit que, quel que soit le tenseur d’ordre un de composantes $z^{k}$, les $n^{2}$ quantités $u^{ij}_{k}\,z^{k}$ soient les composantes d’un tenseur.

Ce critère se généralise à des tenseurs d’ordre quelconque. On peut énoncer de manière condensée le critère général de tensorialité :

Si un produit contracté d’une quantité $\mathbf {U}$ avec tout tenseur arbitraire est lui-même un tenseur, alors $\mathbf {U}$ est aussi un tenseur.