On donne quelques exemples de tenseurs usuels en Physique. Calculons le moment d’inertie d’une masse ponctuelle $m$, située en un point $M(x,y,z)$ par rapport à une droite $\Delta $ passant par l’origine d’un référentiel cartésien $Oxyz$ dont les vecteurs de base sont orthonormés. Dans un tel référentiel, les composantes contravariantes sont identiques aux composantes covariantes. Le moment d’inertie de cette masse, située à la distance $d$ de la droite $\Delta $, est :
\begin{equation}
\mathscr{M}=m\,d^{2}
\tag{2.3.1}
\label{2.3.1}
\end{equation}
Soient $a_{1}$, $a_{2}$, $a_{3}$, les cosinus directeurs de la droite $\Delta $ par rapport respectivement aux axes $Ox$, $Oy$ et $Oz$. On a :
\begin{equation}
\begin{array}[b]{lcl}
d^{2}&=&(x^{2}+y^{2}+z^{2})-(a_{1}x+a_{2}y+a_{3}z)^{2}\\
&=&x^{2}(1-a_{1}^{2})+y^{2}(1-a_{2}^{2})+z^{2}(1-a_{3}^{2})-2a_{1}a_{2}xy-2a_{1}a_{3}zx-2a_{2}a_{3}yz
\end{array}
\tag{2.3.2}
\label{2.3.2}
\end{equation}
Produit tensoriel du vecteur $\mathbf {OM}$ avec lui-même - On voit apparaître dans cette
dernière relation les composantes du produit tensoriel du vecteur $\beq {r}=\beq {OM}$, de composantes $x$, $y$, $z$,
avec lui-même. Le moment d’inertie peut donc s’exprimer en fonction des composantes de
ce produit tensoriel.
Pour cela, introduisons les notations suivantes : $x_{1}=x$, $x_{2}=y$, $x_{3}=z$, et notons $r_{ij}$ les composantes du
produit tensoriel du vecteur $\mathbf {r}$ avec lui-même, soit :
\begin{equation}
r_{ij}=x_{i}\,y_{j}
\tag{2.3.3}
\label{2.3.3}
\end{equation}
avec $i,j=1,2,3$. En ordonnant ses composantes sous la forme d’un tableau, on obtient pour ce produit tensoriel :
\begin{equation}
[r_{ij}]=\begin{bmatrix}
r_{11}&r_{12}&r_{13} \\
r_{21}&r_{22}&r_{23} \\
r_{31}&r_{32}&r_{33}
\end{bmatrix}=\begin{bmatrix}
x^{2}&xy&xz \\
yx&y^{2}&yz \\
zx&zy&z^{2}
\end{bmatrix}
\tag{2.3.4}
\label{2.3.4}
\end{equation}
C’est la matrice des composantes du tenseur. Le moment d’inertie $\mathscr {M}=m\,d^{2}$ de la masse $m$ peut donc s’écrire en fonction des composantes $r_{ij}$.
Composantes du tenseur d’inertie - Cependant l’expression de $\mathscr {M}$ peut être mise sous une forme plus condensée. Compte tenu de la relation :
\begin{equation}
(a_{1})^{2}+(a_{2})^{2}+(a_{3})^{2}=1
\tag{2.3.5}
\label{2.3.5}
\end{equation}
l’expression de $\mathscr {M}$ s’écrit, avec la convention de sommation pour $i,j=1,2,3$ :
\begin{equation}
\mathscr{M}=a_{i}\,a_{j}\,I_{ij}
\tag{2.3.6}
\label{2.3.6}
\end{equation}
où les 9 quantités $I_{ij}$ sont les composantes du tenseur moment d’inertie ou tenseur d’inertie, qui ont pour expression :
\begin{equation}
I_{ij}=m(\delta_{ij}x_{k}x_{k}-x_{i}x_{j})
\tag{2.3.7}
\label{2.3.7}
\end{equation}
avec $i,j,k=1,2,3$. C’est un tenseur d’ordre deux ainsi qu’on peut le vérifier en effectuant un
changement de base.
Si l’on permute deux indices, l’expression des composantes $I_{ij}$ reste inchangée : $I_{ij}=I_{ji}$. On dit que
le tenseur est symétrique.
Écrivons l’expression détaillée des différentes composantes $I_{ij}$ à l’aide des notations
classiques $x,y,z$ sous forme d’une matrice :
\begin{equation}
[I_{ij}]=\begin{bmatrix}
I_{11}&I_{12}&I_{13} \\
I_{21}&I_{22}&I_{23} \\
I_{31}&I_{32}&I_{33}
\end{bmatrix}=m\,\begin{bmatrix}
y^{2}+z^{2}&-xy&-xz \\
-yx&z^{2}+x^{2}&-yz \\
-zx&-zy&x^{2}+y^{2}
\end{bmatrix}
\tag{2.3.8}
\label{2.3.8}
\end{equation}
Les quantités $I_{11}$, $I_{22}$, $I_{33}$, représentent les moments d’inertie par rapport aux axes de
coordonnées correspondants ; les quantités $I_{ij}$, pour $i\neq j$, s’appellent les produits
d’inertie.
Pour un ensemble de masses $m_{k}$, située chancune en un point $M_{k}$, et formant un système
indéformable, on peut définir un tenseur d’inertie pour chaque masse. Le tenseur d’inertie
du système a alors pour composantes la somme des composantes des tenseurs d’inertie
relatifs à chacune des masses. Si l’on a une répartition continue de masse, formant un
solide, les composantes du moment d’inertie du solide s’obtiennent par intégration sur son
volume.
La donnée des composantes du tenseur d’inertie, caractérisant un solide, permet le calcul
d’une grandeur scalaire, le moment d’inertie, par rapport à une droite quelconque dont on
se donne les cosinus directeurs.
Soit un solide, ayant un point fixe $O$, auquel on attache un référentiel $O\,x^{1}x^{2}x^{3}$ dont les vecteurs de bases sont notés $\mathbf {e_{1}}$, $\mathbf {e_{2}}$, $\mathbf {e_{3}}$. Étudions le mouvement de rotation du solide, autour d’un axe instantané de rotation passant par le point $O$, dans un trièdre fixe de référence $O\,uvw$. Au cours de la rotation les vecteurs $\mathbf {e_{i}}$ se déplacent par rapport au trièdre fixe et peuvent être considérés comme des vecteurs dépendant du temps $t$, soit $\mathbf {e_{i}(t)}$. Écrivons la décomposition du vecteur dérivée d$\mathbf {e_{i}}$ d$t$ sur la base ($\mathbf {e_{j}}$), soit :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}=\mixescomponentsExample{j}{i}\,\beq{e_{j}}\,\,\,\,; i,j=1,2,3
\tag{2.3.9}
\label{2.3.9}
\end{equation}
Composantes du tenseur vitesse de rotation instantanée - On va voir que les quantités $\mixescomponentsExample {i}{j}$ constituent les composantes mixtes d’un tenseur d’ordre deux. Pour cela, considérons le changement de base :
\begin{equation}
(a)\,\,\,\,\beq{e_{i}}=A’^{k}_{i}\,\beq{e’_{k}}\,\,\,\,;\,\,\,\,(b)\,\,\,\,\beq{e’_{j}}=A^{i}_{j}\,\beq{e_{i}}
\tag{2.3.10}
\label{2.3.10}
\end{equation}
Les nouvelles quantités $\mixescomponentsExampleprime {j}{i}$ sont données par la relation :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}\beq{e’_{j}}}{\text{d}t}=\mixescomponentsExampleprime{k}{j}\,\beq{e’_{k}}\,\,\,\,; i,j=1,2,3
\tag{2.3.11}
\label{2.3.11}
\end{equation}
Compte tenu de l’expression (2.3.10)(b) des vecteurs $\mathbf {e'^{j}}$, la dérivée s’écrit :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}\beq{e’_{j}}}{\text{d}t}=\dfrac{\text{d}}{\text{d}t}(A^{i}_{j}\,\beq{e_{i}})=A^{i}_{j}\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}
\tag{2.3.12}
\label{2.3.12}
\end{equation}
La dérivation par rapport à $t$ ne porte pas sur les paramètres $A^{i}_{j}$ de changement de base puisque ces derniers ne dépendent pas du temps. On a donc :
\begin{equation}
\mixescomponentsExampleprime{k}{j}\,\beq{e’_{k}}=A^{i}_{j}\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}=A^{i}_{j}\,\mixescomponentsExample{l}{i}\,\beq{e_{l}}=(A^{i}_{j}\,\mixescomponentsExample{l}{i})(A’^{k}_{l}\,\beq{e’_{k}})
\tag{2.3.13}
\label{2.3.13}
\end{equation}
Identifiant les coefficients des vecteurs $\mathbf {e'_{k}}$ dans la relation (2.3.13), on obtient :
\begin{equation}
\mixescomponentsExampleprime{k}{j}=A^{i}_{j}\,A’^{k}_{l}\,\mixescomponentsExample{l}{i}
\tag{2.3.14}
\label{2.3.14}
\end{equation}
Les 9 quantités $\mixescomponentsExample {j}{i}$ se transforment comme les composantes mixtes d’un tenseur d’ordre
deux, selon les formules de changement de base (2.2.4)(b). Elles constituent les
composantes du tenseur vitesse de rotation instantanée du solide.
La position d’un point $M(x^{1},x^{2},x^{3})$ du solide peut être repérée par un vecteur $\beq {OM}=x^{i}\,\beq {e_{i}}$ de coordonnées $x^{i}$ fixes
dans le référentiel $O\,x^{1}x^{2}x^{3}$.
La vitesse $\mathbf {v}$ du point $M$ s’écrit :
\begin{equation}
\beq{v}=v^{j}\,\beq{e_{j}}=\dfrac{\text{d}\beq{OM}}{\text{d}t}=\dfrac{\text{d}(x^{i}\,\beq{e_{i}})}{\text{d}t}=x^{i}\,\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}=x^{i}\,\mixescomponentsExample{j}{i}\,\beq{e_{j}}
\tag{2.3.15}
\label{2.3.15}
\end{equation}
Identifiant les coefficients des vecteurs $\mathbf {e_{j}}$ dans cette dernière relation, on voit que les composantes $v^{j}$ du vecteur vitesse s’expriment à l’aide des composantes du tenseur [$\mixescomponentsExample {j}{i}$] sous la forme :
\begin{equation}
v^{j}=\mixescomponentsExample{j}{i}\,x^{i}
\tag{2.3.16}
\label{2.3.16}
\end{equation}
Tenseur antisymétrique - Étudions les propriétés du tenseur vitesse de rotation instantanée. Considérons pour cela une base orthonormée $\mathbf {e_{i}}$, d’orientation directe, pour laquelle on a : $\beq {e_{i}}\,\cdot \,\beq {e_{j}}=\delta _{ij}$. On peut écrire :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}(\beq{e_{i}}\,\cdot\,\beq{e_{j}})}{\text{d}t}=\beq{e_{i}}\,\cdot\,\dfrac{\text{d}(\beq{e_{j}})}{\text{d}t}+\beq{e_{j}}\,\cdot\,\dfrac{\text{d}(\beq{e_{j}})}{\text{d}t}=0
\tag{2.3.17}
\label{2.3.17}
\end{equation}
Substituons, dans cette dernière relation, l’expression (2.3.9) des dérivées des vecteurs de base, on obtient :
\begin{equation}
\beq{e_{i}}\,\cdot\,(\mixescomponentsExample{k}{j}\,\beq{e_{k}})+\beq{e_{j}}\,\cdot\,(\mixescomponentsExample{k}{i}\,\beq{e_{k}})=\mixescomponentsExample{k}{j}(\beq{e_{i}}\,\cdot\,\beq{e_{k}})+\mixescomponentsExample{k}{i}(\beq{e_{j}}\,\cdot\,\beq{e_{k}})=0
\tag{2.3.18}
\label{2.3.18}
\end{equation}
Compte tenu de la relation d’orthonormalité entre les vecteurs de base, il vient :
\begin{equation}
\mixescomponentsExample{k}{j}\,\delta_{ik}+\mixescomponentsExample{k}{i}\,\delta_{jk}=0
\tag{2.3.19}
\label{2.3.19}
\end{equation}
soit :
\begin{equation}
\mixescomponentsExample{i}{j}=-\mixescomponentsExample{j}{i}
\tag{2.3.20}
\label{2.3.20}
\end{equation}
Un tel tenseur est dit antisymétrique. Des 9 composantes $\mixescomponentsExample {j}{i}$, il n’y a donc que trois d’entre elles qui caractérisent le tenseur et qui constituent ses composantes strictes.
Vecteur rotation instantanée du solide - On pose classiquement pour les composantes strictes du tenseur vitesse de rotation instantanée :
\begin{equation}
\mixescomponentsExample{2}{1}=r\,\,\,\,;\,\,\,\,\mixescomponentsExample{3}{2}=p\,\,\,\,;\,\,\,\,\mixescomponentsExample{1}{3}=q
\tag{2.3.21}
\label{2.3.21}
\end{equation}
et l’on forme le vecteur suivant :
\begin{equation}
\beq{w}=p\,\beq{e_{1}}+q\,\beq{e_{2}}+r\,\beq{e_{3}}
\tag{2.3.22}
\label{2.3.22}
\end{equation}
Ce vecteur constitue un exemple de vecteur adjoint d’un tenseur antisymétrique. Dans le cas présent, ce vecteur est appelé vecteur rotation instantanée du solide. Compte tenu des propriétés classiques du produit vectoriel, on a :
\begin{equation}
\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}=\beq{w}\wedge\beq{e_{i}}
\tag{2.3.23}
\label{2.3.23}
\end{equation}
La vitesse de rotation d’un point $M$ du solide s’écrit alors : \begin{equation}
\beq{v}=x^{i}\,\dfrac{\text{d}\beq{e_{i}}}{\text{d}t}=x^{i}\,(\beq{w}\wedge\beq{e_{i}})=\beq{w}\wedge(x^{i}\,\beq{e_{i}})=\beq{w}\wedge\beq{OM}
\tag{2.3.24}
\label{2.3.24}
\end{equation}
Le vecteur vitesse $\mathbf {v}$ peut donc s’exprimer à l’aide de deux formalismes différents, par les formules (2.3.15) ou (2.3.24). On sait cependant que le vecteur $\mathbf {w}$ est un "vecteur axial" qui nécessite une convention sur le sens de l’orientation du trièdre, de même que le produit vectoriel. Par contre, l’utilisation du tenseur [$\mixescomponentsExample {j}{i}$] n’introduit pas de convention arbitraire et permet l’emploi d’un système d’axes quelconques.
Un grand nombre de propriétés des milieux anisotropes sont représentées par des tenseurs. Considérons par exemple le cas de la conduction électrique dans des cristaux anisotropes où le vecteur densité de courant, $\beq {j}=j^{i}\,\beq {e_{i}}$, est lié au vecteur champ électrique, $\beq {E}=E^{k}\,\beq {e_{k}}$, par des relations de la forme :
\begin{equation}
j^{i}=\sigma_{k}{}^{i}\,E^{k}\,\,\,\,;i,k=1,2,3
\tag{2.3.25}
\label{2.3.25}
\end{equation}
Les 9 quantités $\sigma _{k}{}^{i}$ forment les composantes du tenseur de conductivité électrique.
La forme des relations (2.3.25) est analogue pour de nombreuses autres propriétés dans
les milieux anisotropes. Il en est ainsi pour les transferts de chaleur par conduction où le
vecteur densité du flux thermique $\mathbf {f}$ a ses composantes liées au vecteur gradient de
température, $\mathbf {grad T}$, par les relations :
\begin{equation}
f^{i}=-\lambda_{j}{}^{i}\dfrac{\partial T}{\partial x^{j}}\,\,\,\,;i,j=1,2,3
\tag{2.3.26}
\label{2.3.26}
\end{equation}
Les neufs quantités $\lambda _{j}{}^{i}$ constituent les composantes du tenseur de conductivité du matériau.
Composantes mixtes - De manière générale, considérons des relations entre deux vecteurs $\beq {x}=x^{i}\,\beq {e_{i}}$ et $\beq {y}=y^{k}\,\beq {e_{k}}$ qui s’expriment sous la forme :
\begin{equation}
x^{i}=\lambda_{k}{}^{i}\,y^{k}
\tag{2.3.27}
\label{2.3.27}
\end{equation}
et étudions comment se transforment ces relations lors d’un changement de base. On a les formules de transformation des composantes d’un vecteur données par :
\begin{equation}
(a)\,\,\,\,y^{k}=A_{l}^{k}\,y’^{l}\,\,\,\,;\,\,\,\,(b)\,\,\,\,x’^{j}=A’^{j}_{i}\,x^{i}
\tag{2.3.28}
\label{2.3.28}
\end{equation}
Substituons les relations (2.3.27) et (2.3.28)(a) dans l’expression (2.3.28)(b), il vient :
\begin{equation}
x’^{j}=A’^{j}_{i}\,x^{i}=A’^{j}_{i}(\lambda_{k}{}^{i}\,y^{k})=A’^{j}_{i}\,\lambda_{k}{}^{i}\,(A_{l}^{k}\,y’^{l})=(A’^{j}_{i}\,\lambda_{k}{}^{i}\,A_{l}^{k})\,y’^{l}
\tag{2.3.29}
\label{2.3.29}
\end{equation}
D’autre part, la forme de la relation (2.3.27) doit être indépendante de la base choisie (afin de représenter une loi physique) et l’on a pour les nouvelles composantes :
\begin{equation}
x’^{j}=\lambda’_{l}{}^{j}\,y’^{l}
\tag{2.3.30}
\label{2.3.30}
\end{equation}
Comparant les relations (2.3.29) et (2.3.30), on obtient par identifications des coefficients de $y'^{l}$ :
\begin{equation}
\lambda’_{l}{}^{j}=(A’^{j}_{i}\,A_{l}^{k})\,\lambda_{k}{}^{i}
\tag{2.3.31}
\label{2.3.31}
\end{equation}
Les quantités $\lambda _{k}{}^{i}$ se transforment comme les composantes mixtes d’un tenseur d’ordre deux. Ce type de tenseur permet de caractériser de nombreuses propriétés des matériaux anisotropes.