La difficulté pour comprendre la généralisation de la notion de vecteur est liée à l’habitude qu’a le physicien de la représentation des vecteurs de la géométrie classique, à trois dimensions, utilisées en physique. Il faut abandonner toute représentation pour les "vecteurs" que l’on étudie ici. Une seconde difficulté est liée à la terminologie qui reprend le terme de vecteur pour désigner des êtres mathématiques très divers et plus abstraits.
Triplet de nombres réels - Considérons l’exemple suivant : on appellera vecteur un
ensemble de trois nombres réels ordonnés $x^{1},x^{2},x^{3}$.
Certes une telle définition se réfère implicitement aux vecteurs libres de la géométrie
classique qui sont représentés par trois composantes, mais c’est à présent ce triplet de
nombres que l’on appelle un vecteur, sans faire référence à un espace géométrique
quelconque. On note ce vecteur $(x^{1},x^{2},x^{3})$ ou, sous une forme plus condensée, par le symbole $\mathbf {x}$ ; on a
donc $\beq {x}=(x^{1},x^{2},x^{3})$.
Appelons $E_{3}$ l’ensemble de tous les vecteurs $\mathbf {x}$ ainsi définis.
Opérations sur les vecteurs - Pour un tel objet, dégagé de toute attache
géométrique, on peut aisément définir des opérations entre vecteurs, analogues aux
lois classiques d’addition des vecteurs libres et de leur multiplication par un
scalaire.
Par définition, à deux vecteurs $\beq {x}=(x^{1},x^{2},x^{3})$ et $\beq {y}=(y^{1},y^{2},y^{3})$, l’addition vectorielle fait correspondre un autre vecteur $\mathbf {z}$, noté $\beq {x}+\beq {y}$, tel que :
\begin{equation}
\beq{x}+\beq{y}=(x^{1}+y^{1},x^{2}+y^{2},x^{3}+y^{3})=(z^{1},z^{2},z^{3})=\beq{z}
\tag{1.2.1}
\label{1.2.1}
\end{equation}
Le vecteur $\beq {z}=\beq {x}+\beq {y}$ est appelé la somme des vecteurs $\mathbf {x}$ et $\mathbf {y}$.
Également par définition, à un vecteur $\beq {x}=(x^{1},x^{2},x^{3})$, la multiplication par un nombre réel $\lambda $ fait correspondre un autre vecteur $\mathbf {u}$, noté $\lambda \,\beq {x}$ tel que :
\begin{equation}
\lambda\,\beq{x}=(\lambda\,x^{1},\lambda\,x^{2},\lambda\,x^{3})=(u^{1},u^{2},u^{3})=\beq{u}
\tag{1.2.2}
\label{1.2.2}
\end{equation}
Le vecteur $\beq {u}=\lambda \,\beq {x}$ est appelé le produit de $\mathbf {x}$ par le nombre réel $\lambda $. Par suite, les nombres réels
seront appelés des scalaires.
On remarque que ces deux opérations sur les vecteurs font correspondre à un ou
plusieurs éléments de l’ensemble $E_{3}$, un autre élément de ce même ensemble. On dit que ces
opérations sont des lois de composition interne.
Remarque - Par suite, les vecteurs constitués par des triplets de nombres seront associés
à un espace ponctuel et ce dernier pourra, si on lui attribue cette signification, constituer
une représentation de l’espace physique à trois dimensions.
Mais les vecteurs sont définis de manière générale, ainsi qu’on va le voir, uniquement à partir des propriétés des opérations entre les éléments d’un ensemble.
Dans l’exemple précédent, on a les propriétés suivantes :
A1 - Commutativité : $\beq {x}+\beq {y}=\beq {y}+\beq {x}$
A2 - Associativité : $\beq {x}+(\beq {y}+\beq {z})=(\beq {x}+(\beq {y})+\beq {z}$
A3 - Il existe un vecteur nul, noté $\beq {0}=(0,0,0)$ tel que :$\beq {x}+\beq {0}=\beq {x}$
A4 - Quel que soit le vecteur $\mathbf {x}$, il existe un vecteur noté $(-\beq {x})$, appelé son opposé, tel
que : $\beq {x}+(-\beq {x})=\beq {0}$
Multiplication par un scalaire
M1 - Associativité : $\lambda _{1}\,(\lambda _{2}\,\beq {x})=(\lambda _{1}\,\lambda _{2})\,\beq {x}$
M2 - Distributivité par rapport à l’addition des scalaires :
$(\lambda _{1}+\lambda _{2})\,\beq {x}=\lambda _{1}\,\beq {x}+\lambda _{2}\,\beq {x}$
M3 - Distributivité par rapport à l’addition vectorielle :
$\lambda \,(\beq {x}+\beq {y})=\lambda \,\beq {x}+\lambda \,\beq {y}$
M4 - Pour le scalaire 1, on a $1\,\beq {x}=\beq {x}$
On démontre aisément ces diverses propriétés en partant de la définition des opérations (1.2.1) et (1.2.2). Par exemple, la distributivité par rapport à l’addition vectorielle se démontre comme suit :
\begin{equation}
\begin{array}[b]{lcl}
\lambda\,(\beq{x}+\beq{y})&=&\lambda\,(x^{1}+y^{1},x^{2}+y^{2},x^{3}+y^{3})=(\lambda\,(x^{1}+y^{1}),\lambda\,(x^{2}+y^{2}),\lambda\,(x^{3}+y^{3}))\\
&=&(\lambda\,x^{1}+\lambda\,y^{1},\lambda\,x^{2}+\lambda\,y^{2},\lambda\,x^{3}+\lambda\,y^{3})=(\lambda\,x^{1},\lambda\,x^{2},\lambda\,x^{3})+(\lambda\,y^{1},\lambda\,y^{2},\lambda\,y^{3})\\
&=& \lambda\,(x^{1},x^{2},x^{3})+\lambda\,(y^{1},y^{2},y^{3})=\lambda\,\beq{x}+\lambda\,\beq{y}
\end{array}
\tag{1.2.3}
\label{1.2.3}
\end{equation}
Multiplet de nombres réels - La généralisation de l’exemple des vecteurs de $E_{3}$, se fait aisément en considérant un multiplet constitué de $n$ nombres réels ordonnés $(x^{1},x^{2},...,x^{n})$ que l’on appellera un vecteur. Sous forme condensée, on note $\mathbf {x}$ ce vecteur ; on a :
\begin{equation}
\beq{x}=(x^{1},x^{2},...,x^{n})
\tag{1.2.4}
\label{1.2.4}
\end{equation}
De même que précédemment, on peut définir deux lois de composition interne entre
ces vecteurs :
\begin{equation}
\beq{x}+\beq{y}=(x^{1}+y^{1},x^{2}+y^{2},...,x^{n}+y^{n})=(z^{1},z^{2},...,z^{n})=\beq{z}
\tag{1.2.5}
\label{1.2.5}
\end{equation}
\begin{equation}
\lambda\,\beq{x}=(\lambda\,x^{1},\lambda\,x^{2},...,\lambda\,x^{n})=(u^{1},u^{2},...,u^{n})=\beq{u}
\tag{1.2.6}
\label{1.2.6}
\end{equation}
On vérifie aisément que ces deux lois d’addition et de multiplication possèdent les
mêmes propriétés, notées précédemment A1 à A4 et M1 à M4, que celles des vecteurs
de $E_{3}$.
Polynômes - Ces propriétés fondamentales, A1 à A4 et M1 à M4, se trouvent être
identiques pour les opérations d’addition et de multiplication par un scalaire effectuées
sur une très grande variété d’êtres mathématiques.
À titre d’exemple, considérons le polynôme de degré trois :
\begin{equation}
P_{a}(t)=a_{0}+a_{1}\,t+a_{2}\,t^{2}+a_{3}\,t^{3}
\tag{1.2.7}
\label{1.2.7}
\end{equation}
À l’addition de deux polynômes $P_{a}(t)$ et $P_{b}(t)$ de degré trois correspond un autre polynôme $P_{c}(t)$ de
même degré. On vérifie aisément que l’addition des polynômes possède les propriétés A1
à A4 de l’addition vectorielle.
La multiplication d’un polynôme $P_{a}(t)$ par un scalaire $\lambda $ donne un autre polynôme $\lambda \,P_{a}(t)$ de degré
trois et cette multiplication possède les propriétés M1 à M4.
Par suite de cette identité des propriétés des opérations sur les polynômes avec celles
des opérations sur les vecteurs de la géométrie classique, on peut considérer les
polynômes comme des vecteurs.
Autres exemples - On sait définir des opérations telles que l’addition et la
multiplication par un scalaire, sur des êtres mathématiques très divers. C’est le cas par
exemple, des nombres complexes, des matrices, des fonctions définies sur un
intervalle donné, etc. Ainsi qu’on peut le vérifier pour chaque cas particulier, ces
opérations vérifient respectivement les propriétés fondamentales A1 à A4 et M1 à
M4.
Au lieu de considérer la multiplication par un nombre réel, il est possible d’utiliser des nombres complexes. Cependant, nous nous limitons par la suite à l’emploi des nombres réels pour la multiplication.
Ces exemples conduisent à définir de manière générale les vecteurs uniquement à partir
de leurs propriétés opératoires.
Pour cela, considérons un ensemble $E$ d’éléments quelconques que l’on note $\beq {x},\beq {y},\beq {z},\beq {u}$, etc.
Supposons qu’il existe entre ces éléments les deux lois de composition interne
suivantes :
Par définition, l’ensemble $E$, muni de ces deux lois de composition interne, est appelé un espace vectoriel par rapport au corps des nombres réels. Les éléments $\mathbf {x}$, $\mathbf {y}$, etc de $E$ sont appelés des vecteurs.
Il peut être utile de distinguer l’ensemble $E'$ d’éléments que l’on se donne au départ, de
l’espace vectoriel $E$ lui-même.
Lorsqu’on ajoute à l’ensemble $E'$, deux lois de composition interne, ces lois vont
constituer une structure pour cet ensemble $E'$. Ce dernier, muni de ces deux lois
possèdant respectivement les propriétés A1 à A4 et M1 à M4, devient alors un
ensemble $E$ muni d’une structure d’espace vectoriel. Cet espace vectoriel se confond
évidemment en tant qu’ensemble d’éléments avec l’ensemble $E'$. Cependant, il s’en distingue
en tant qu’espace qui constitue un ensemble structuré. On peut dire que $E'$ constitue le
support de $E$.
De manière générale, munir un ensemble d’une ou plusieurs relations et lois de composition, c’est lui conférer une structure. Cette dernière est définie par les propriétés qui régissent les relations et les opérations dont la structure est pourvue.