Repères biographiques:
Jean-Paul Sartre naît à Paris en 1905 et
entre à 19 ans à l'École normale supérieure. Agrégé de philosophie en
1929, il enseigne au lycée du Havre, puis se rend à Berlin pour étudier Husserl
et Heidegger. Il publie en 1938 son premier roman, La nausée puis, en
1943, L'Être et le Néant. Il travaille également pour le
théâtre(Les Mouches, Huit-clos) et en 1945, fonde avec Maurice
Merleau-Ponty la revue Les Temps modernes. En 1964, il refuse le Prix
Nobel de littérature. Ses nombreuses prises de position politique le rendent
très populaire, en France comme à l'étranger. Il meurt le 15 avril 1980.
La contingence et la liberté
"Tout commence par la contingence" dit Roquentin
dans La Nausée, c'est à dire par la découverte de l'existence pure, qui
n'est justifiée par rien d'autre qu'elle même, ce que Sartre appelle dans
L'Être et le Néant, la "facticité". Elle est ce qui n'est pas nécessaire, ce
qui pourraît ne pas être, comme l'apparition de l'homme sur Terre; il n'y a pas d'arrière-monde,
pas de Dieu, ni de valeurs ou de sens dans cet "être-là" du monde ;
cette prise de conscience doit donc, selon lui, amener l'homme à décider de donner un sens à cette existence. C'est en cela que
consiste sa transcendance, aussi appelée liberté.
Mais cette liberté n'est pas un être, elle
est au contraire un trou dans l'être, un "néant", car elle est toujours "à
faire". Elle n'est qu'un projet, une visée, ce que Husserl appelle
"intentionnalité". Cette liberté se vit d'abord dans l'angoisse, car elle se
joue dans la contingence, lieu de tous les possibles. Elle se traduit par des
actes dont nous sommes totalement responsables (à rediscuter si l'on
prend en compte la notion d'inconscient). Il n'y a pas d'autre vie pour
nous racheter. Aussi Sartre s'oppose-t-il violemment à la culpabilité
religieuse, mais il affirme que "même si Dieu existait", cela ne
changerait rien à la nécessité pour l'homme de choisir la liberté. Le véritable
enfer, "c'est les autres" qui vous jugent. Mais autrui est aussi constitutif de
mon être. Ma liberté passe donc par celle de l'autre. Il faut donc voir dans son oeuvre un
appel désespéré à la sincérité de chacun. Sartre découvre, à
partir de l'expérience de la guerre, l'urgence de constituer la liberté
personnelle, comme une libération de toutes les aliénations, non seulement du
monde intersubjectif, mais du monde social et politique.
La philosophie et la politique
La liberté est toujours "située", c'est-à-dire
qu'elle est la rupture possible des conditions dans lesquelles on se
trouve. L'engagement de cette liberté est le moment de la rupture
où le
mot, l'acte, la création réalisent cette liberté. Dans la présentation des
Temps Modernes, Sartre annonce que sa revue ne publiera que des écrivains
"engagés dans leur temps", qui ont cherché ou cherchent à ouvrir le champ des
possibles de la liberté. Mais pas la liberté du fort contre le faible car, en
écrasant le faible, le fort ferme l'opportunité des actions. Sartre ne
construit pas de théorie politique, mais il se situe, du côté des opprimés, dans
la perspective d'un socialisme libertaire. Dans la Critique de la raison
dialectique (1960), l'existentialisme est présenté comme une idéologie du
sujet au sein d'un "marxisme ouvert", appelé à cette époque "l'horizon
indépassable" de la philosophie du XXème siècle, car il donne les outils pour
comprendre le monde de la rareté économique, des oppressions. Sartre retourne
donc contre lui-même le marxisme "officiel" (qui dit-il, s'est
"arrêté") et offre dans sa revue une place à tous les dissidents des "pays
dits socialistes" ou à des militants communistes. Ses positions (jugées
aventureuses) aux côtés des mouvements gauchistes le font critiquer par les
"libéraux" comme par les "staliniens". Il n'en maintient pas moins fermement son
projet initial de "lutter pour devenir libres", ensemble, et non pas
individuellement. Aux côtés des révoltés de mai 68, partisan des luttes
des paysans du Larzac, il participe à la fondation du journal Libération
en 1973. Pour lui, la philosophie n'est donc pas seulement une réflexion sur la
politique. Elle est, indissociablement, liberté de la réflexion, critique et
engagement, action concrète et intellectuelle.
L'imagination et la morale
C'est dans le lien entre ce qui semble ludique
(l'imagination) et ce qui est considéré comme sérieux (la morale) que Sartre
situe sa morale concrète qu'il oppose aux morales théoriques (religieuses ou
laïques). Là encore, il n'écrit pas de traité de morale : il n'a jeté que des
Cahiers pour une morale (oeuvre posthume). On y retrouve les lignes
directrices de sa philosophie. La liberté est le fondement de toutes les
valeurs. Même si l'homme se tait, n'agit pas, sa liberté est malgré lui
"engagée". La morale est donc une invention, une création de valeurs.
On comprend, dans cette optique, que Sartre se réfère sans cesse à l'oeuvre
d'art dans ses articles sur Giacometti, le Tintoret, ou ses livres sur
Baudelaire, Genêt, Flaubert. L'imagination qui crée l'oeuvre est, selon
Sartre, en partie intellectuelle (le choix), en partie émotionnelle (le désir).
L'homme joue le monde sur un mode magique, il fait être ce qu'il désire.
Comme l'artiste, il utilise une matière pour réaliser ce désir : la situation
concrète. La valeur morale éclate dans l'action, dans la parole. Mais cette
morale concrète n'est pas la totalité du bien, qui est impossible à atteindre.
Elle est le lien dialectique entre le mal et le bien, qui donc n'exclut pas
l'échec, l'erreur, l'impureté, l'inachèvement et le scandale. Les hommes ne
créent que des "îlots de liberté", comme des fragments d'absolu, dans une
histoire où les valeurs dégénèrent en violence, en bureaucratie, en
totalitarisme, en attentisme mou. Malgré l'angoisse de cette non-coîncidence de
la valeur et de l'acte, Sartre définit cette morale, toujours risquée dans la
rencontre avec l'autre "qui n'est pas moi", comme un "optimisme tragique".
Principaux écrits: L'imaginaire (1940); L'Être et le
Néant (1943); Réfexions sur la question juive (1946);
Baudelaire (1947); La Critique de la raison dialectique (1960);
Situations (1947-1965); L'Idiot de la famille (1970-1972);
Cahiers pour une morale (1983).
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