À ce jour, la Terre demeure le seul endroit où nous sachions qu'il y a de la vie. Mais il n'est pas interdit de spéculer sur la probabilité de l'existence d'autres formes de vie dans l'Univers, voire de vie intelligente ou de civilisations avancées. Nous verrons d'ailleurs que la question divise les scientifiques eux-mêmes: certains sont convaincus que le cosmos abrite de nombreuses civilisations avancées, tandis que d'autres pensent que la Terre est le seul endroit dans tout l'Univers observable où la vie existe.
Pour pouvoir spéculer sur la vie extraterrestre, il est nécessaire de connaitre la nature de la vie sur Terre et les grandes lignes de son évolution. Le phénomène de la vie est fondamentalement lié à la reproduction. Tous les organismes vivants ont la capacité de se reproduire à partir des éléments présents dans leur milieu. La première forme de vie qui est apparue sur Terre était sans doute une molécule autoreproductrice, c'est-à-dire une molécule capable de produire des molécules semblables à elle-même. La célèbre molécule torsadée d'ADN (acide désoxyribonucléique), qui est à la base de toutes les formes de vie sur Terre, en est l'exemple le mieux connu. Il semble impossible qu'une molécule aussi complexe que l'ADN se soit spontanément formée au tout début de la vie terrestre. Toutefois, on peut imaginer des molécules autoreproductrices plus simples. L'ADN est sans doute une version hautement évoluée de molécule autoreproductrice. Cette constatation nous amène à aborder un autre aspect fondamental de la vie: son évolution.
Dans les chapitres précédents, nous avons vu comment l'évolution cosmique, à partir du Big Bang originel, a abouti à la formation de systèmes planétaires enrichis d'éléments lourds. La formation d'une première molécule autoreproductrice dépend de cette évolution cosmique. En effet, l'hydrogène primordial ne peut former que des liaisons simples, et l'hélium qui a été créé dans les premiers instants qui ont suivi le Big Bang est une substance inerte. La formation de molécules autoreproductrices dépend de l'existence d'éléments lourds capables de créer des liaisons chimiques complexes. Ainsi, le mécanisme de la vie sur Terre, basé sur l'ADN, dépend de six éléments chimiques de base: le carbone, l'hydrogène, l'azote, l'oxygène, le phosphore et le soufre (présentés dans cet ordre, leurs symboles chimiques forment une onomatopée mnémonique, CHNOPS !).
Une fois que l'on dispose des ublocs de construction ж chimiques appropriés, il s'agit d'imaginer un processus qui mènera à l'apparition de la vie et, ultimement, à celle de l'intelligence. Les grandes étapes de ce processus sont illustrées à la figure $1 .$ La première étape, 1 'évolution cosmique, a été amplement étudiée dans les chapitres précédents. Au cours de l'étape suivante, l'évolution chimique, les atomes de base s'organisent en molécules complexes qui ne sont pas encore vivantes, mais qui constituent les unités moléculaires à la base de la vie, du moins sur la Terre: les acides aminés. Les acides aminés sont des molécules qui contiennent une centaine d'atomes environ. On en trouve 20 sortes différentes associées aux processus de la vie sur Terre. On pense qu'ils se forment naturellement au hasard des collisions entre les atomes de base. Cette étape ne semble pas difficile à franchir ; on pense même avoir découvert des traces d'acides aminés simples dans les nuages moléculaires de notre Galaxie !
L'étape suivante correspond à la transition chimique-biologique, c'està-dire à l'organisation des acides aminés en molécules autoreproductrices. C'est le véritable passage de la non-vie à la vie; c'est aussi l'étape qui semble la plus difficile à réaliser. Les molécules autoreproductrices les plus simples que l'on connaisse sont des milliers de fois plus complexes que les acides aminés. Les mécanismes de la transition chimique-biologique sont actuellement un des sujets d'études les plus discutés de la biologie moléculaire. Une fois qu'ont été créées les premières molécules autoreproductrices, le processus bien connu de l'évolution biologique se met en branle. La reproduction répétée d'une molécule produit de temps à autre une mutation, c'est-à-dire l'apparition d'une molécule légèrement différente de la molécule mère. Comme la plupart des mutations affaiblissent ou anéantissent la faculté d'autoreproduction, les molécules mutantes sont vouées à à la disparition. Mais, une fois de temps en temps, par pur hasard, une molécule mutante se voit dotée d'une faculté d'autoreproduction plus efficace que celle de la molécule mère. Cette mutation aura donc tendance à subsister et à se propager. Il s'agit là de la version moléculaire du principe de la sélection naturelle: les mutations se font au hasard, mais seules les mutations favorables prospèrent. Ainsi, petit à petit, on voit apparaitre des molécules autoreproductrices de plus en plus complexes et de plus en plus efficaces. Donnez à la sélection naturelle quelques milliards d'années, et elle pourra créer des organismes dotés d'organes de locomotion, de vision, et même d'analyse de la perception.
La dernière étape du processus d'évolution de la vie - celle qui nous concerne particulièrement en tant qu'êtres humains - correspond à l'évolution intellectuelle, qui a donné naissance à la civilisation. En fait, on peut considérer qu'elle fait partie de l'évolution biologique, qu'elle en est le prolongement le plus récent. Si nous l'avons traitée comme une étape distincte, c'est que, comme nous le verrons plus loin, certains scientifiques doutent que l'évolution biologique y conduise nécessairement. La probabilité de l'évolution intellectuelle est bien sur un des facteurs importants permettant d'évaluer la probabilité de l'existence de civilisations extraterrestres avancées.
Les grandes étapes de la vie sur Terre
Notre planète est âgée de 4,6 Ga (milliards d'années) et que les plus vieilles roches terrestres remontent à 4,0 Ga. Or, ces roches, tout anciennes qu'elles soient, contiennent des traces de vie ! Le tableau 1 énumère les événements majeurs de l'histoire de la vie sur Terre. Si on considère l'échelle de l'histoire de la Terre, on s'aperçoit que la vie a très vite démarré. En revanche, elle est demeurée longtemps dans un état extrêmement primitif, puisqu'il lui a fallu près de 3 Ga pour dépasser le stade des simples bactéries. Puis, subitement, il y a 0,6 Ga (600 millions d'années), il s'est produit une accélération marquée du rythme de l'évolution de la vie $-$ ce que les biologistes appellent l'explosion du Cambrien (du nom de l'ère géologique correspondant à cette époque). Après l'explosion du Cambrien, les principales formes de vie animales que l'on connait aujourd'hui sont apparues successivement: les poissons, les amphibiens, les reptiles et, enfin, les mammifères. Les grands singes sont apparus il y a environ 15 millions d'années, et la lignée menant aux êtres humains s'est séparée de celle des gorilles et des chimpanzés avec l'australopithèque, il y a 5 millions d'années. Notre espèce, homo sapiens, n'a fait son apparition qu'il y a 500000 ans, soit un dix-millième de l'âge de la Terre. L'histoire de la civilisation n'occupe que le dernier centième de l'histoire de l'homo sapiens, soit un millionième de l'âge de la Terre !
Le survol que nous venons de faire de l'histoire de la vie sur notre planète montre clairement que la Terre constitue un environnement propice à l'émergence de la vie. Existe-t-il dans notre Galaxie, la Voie lactée, d'autres environnements propices à l'émergence de la vie ? C'est ce que nous allons tenter de préciser dans cette section.
Une question se pose dès le départ: un environnement propice à la vie correspond-il nécessairement à une planète semblable à la Terre ? Bien que l'on puisse se tromper, on pense que oui. Il semble que seule une planète située aux abords d'une étoile puisse servir de support à la vie, car elle offre un milieu qui est ni trop chaud ni trop froid, et qui est assez dense. Nous limiterons donc aux planètes notre recherche d'endroits propices à la vie. Il existe sans doute des planètes orphelines, naviguant entre les étoiles de notre Galaxie. Mais les réactions chimiques à la base de la vie requièrent une source abondante d'énergie; nous nous en tiendrons donc aux planètes orbitant autour d'étoiles.
Ainsi, la recherche d'une planète propice à la vie commence par celle d'une étoile adéquate. La Voie lactée contient environ 100 milliards d'étoiles, et elle existe depuis un peu plus d'une dizaine de milliards d'années. On peut ainsi estimer qu'il s'y forme en moyenne 10 nouvelles étoiles par année. Puisque le taux de formation des étoiles n'est probablement pas constant dans le temps, cette estimation est assez approximative. Par conséquent, notre estimation du nombre de planètes propices à la vie sera très approximative. Par ailleurs, dans le cadre de cette discussion, nous n'avons besoin que d'une estimation qui se situe dans le bon ordre de grandeur.
Dès le départ, on peut éliminer un grand nombre d'étoiles qui ne peuvent procurer une source d'énergie adéquate à une planète susceptible d'abriter la vie. En effet, pour être une source d'énergie adéquate, une étoile doit posséder autour d'elle ce qu'on appelle une zone continuellement habitable. De plus, cette zone doit exister assez longtemps pour que la vie puisse se développer suffisamment, c'est-à-dire pendant plusieurs milliards d'années, si on se fie à la durée de l'évolution de la vie sur Terre. Avant de définir plus précisément la notion de zone continuellement habitable, on peut déjà disqualifier toutes les étoiles de type $\mathrm{O}, \mathrm{B}, \mathrm{A}$ et $\mathrm{F},$ car elles durent moins de trois milliards d'années avant d'atteindre la phase de géante rouge. Toutefois, cela n'élimine pas beaucoup de candidates, car ces étoiles constituent à peine $10 \%$ de toutes les étoiles de la série principale.
En plus de durer assez longtemps, une étoile adéquate doit pouvoir posséder une planète située à la bonne distance pour que la vie puisse y appara\hattre et s'y développer. Mais que veut-on dire au juste par u bonne distance ж ? Nous allons encore nous prendre en exemple et supposer qu'une planète adéquate a nécessairement une température semblable à celle de la Terre, c'est-à-dire une température permettant la présence d'eau liquide. Pourquoi ? Parce que l'eau est le meilleur solvant qui puisse servir de support aux réactions chimiques complexes menant à la vie.
La zone qui entoure une étoile où peut se maintenir une température permettant la présence d'eau liquide se nomme écosphère, bien que sa forme soit plutôt celle d'une coquille creuse (figure 2 )*. L'augmentation graduelle de la luminosité d'une étoile au cours de sa vie déplace l'écosphère vers l'extérieur. Ainsi, seule la zone extérieure de l'écosphère originale d'une étoile demeure au sein de l'écosphère tout au long de l'évolution d'une étoile de la série principale. Cette section de l'écosphère est appelée zone continuellement habitable ($\mathrm{ZCH}$). Dans notre système solaire, la $\mathrm{ZCH}$ correspond à une mince coquille entourant l'orbite de la Terre. Notre planète a eu la chance de se trouver dans la zone extérieure de l'écosphère quand le Soleil est né ; aujourd'hui, elle se retrouve dans la zone intérieure.
De toutes les étoiles de la série principale, les étoiles rouges de type M sont celles qui durent le plus longtemps. Sont-elles pour cela des candidates idéales au titre de sources d'énergie adéquates ? Malheureusement non, car une étoile de type M émet si peu de lumière et de chaleur que son écosphère est minuscule, donc très proche de l'étoile. Cela cause un premier problème, car, de l'avis de plusieurs astronomes, il règne dans une écosphère si rapprochée une quantité mortelle de radiations provenant de la couronne et des protubérances de l'étoile. De plus, en raison de sa minceur extrême, l'écosphère se trouve rapidement à dériver complètement $e n$ dehors de ses limites initiales au cours de l'évolution de l'étoile. Autrement dit, une étoile de type M n'a pas de $\mathrm{ZCH} !$
L'élimination des étoiles de type M $(70 \%$ de celles de la série principale), ainsi que de celles de type $\mathrm{K}$ (pour les mêmes raisons), réduit grandement le nombre d'étoiles adéquates. On en arrive à la conclusion qu'à peine $10 \%$ des étoiles sont susceptibles de procurer une source d'énergie favorable à la vie, et ce sont essentiellement des étoiles de type G, comme le Soleil (voir le tableau 6.3 ). Ainsi, puisqu'il nait dix étoiles par année dans la Voie lactée, il nait environ une étoile adéquate (de type G) tous les ans. Sur le lot, il faut éliminer celles qui se forment dans des systèmes multiples, car les planètes qui feraient partie de tels systèmes seraient soumises à des écarts de température extrêmes en raison de la présence des autres étoiles du système. Ce facteur nous oblige à écarter une étoile G sur deux, et il ne nous reste plus qu'une nouvelle étoile adéquate tous les deux ans.
La détection des planètes extrasolaires donne des résultats positifs pour environ $5\%$ des étoiles observées. Comme la méthode de détection ne permet, pour l'instant, que de mettre en évidence des grosses planètes de type jovien, on ignore si ce chiffre de $5 \%$ représente la véritable fraction d'étoiles qui possèdent des systèmes planétaires, mais on peut quand même s'en servir comme estimation de départ. Ainsi, il naitrait une étoile adéquate possédant un système planétaire tous les 40 ans.
Bien sur, le fait qu'une étoile possède des planètes ne garantit pas qu'il s'en trouvera une dans la $\mathrm{ZCH}$, en raison de l'étroitesse de celle-ci. De plus, une planète située dans la $\mathrm{ZCH}$ pourrait fort bien être trop petite pour posséder une atmosphère (comme c'est le cas de la Lune). Or, sans atmosphère, l'eau liquide ne peut exister: un liquide s'évapore dans le vide, peu importe sa température. Si on suppose qu'un système planétaire sur dix possède une planète adéquate, il naitra une planète propice à la vie tous les 400 ans quelque part dans la Voie lactée.
Combien cela fait-il de planètes en tout ? La Voie lactée s'est formée vraisemblablement dans les premiers milliards d'années qui ont suivile Big Bang. On peut supposer que, pendant les premiers milliards d'années qui ont suivi sa formation, la Galaxie n'était pas suffisamment pourvue en éléments lourds pour permettre la formation d'un nombre important de planètes. Cela laisse néanmoins environ 10 Ga pendant lesquelles de nouvelles planètes ont pu se former dans la Galaxie. Comme il nait une planète adéquate tous les 400 ans, on obtient une estimation proprement fantastique: il y aurait 25 millions de planètes propices à la vie dans la Voie lactée ! Puisqu'il y a 100 milliards d'étoiles dans la Voie lactée, cela voudrait dire qu'une étoile sur 4000 possède une planète propice à la vie, et que la plus proche de nous pourrait être située à environ 70 années-lumière.
En dépit de l'imprécision assez grande de chacune des estimations qui mènent à ce résultat, une conclusion très nette s'impose: notre Galaxie contient un nombre considérable de planètes semblables à la Terre, et donc propices à l'émergence et à l'évolution de la vie. Une pareille perspective a suscité, on s'en doute, bon nombre de spéculations. Deux courants de pensée s'opposent quant aux conséquences qu'il faut tirer de cette conclusion. Dans le premier, qu'on pourrait qualifier d'optimiste, on considère que la plupart des planètes propices à la vie ont engendré non seulement la vie, mais aussi des civilisations très avancées. Les partisans de l'école opposée font valoir principalement que l'apparition même de la vie $-$ et à plus forte raison celle d'êtres intelligents $-$ est improbable, même sur une planète réunissant les conditions propices à son émergence.
Si les premières planètes propices à la vie ont commencé à apparaitre il y a environ 10 milliards d'années, un bon nombre d'entre elles $-$ peut-être la moitié $-$ sont plus anciennes que la Terre. Si l'évolution de la vie s'y est déroulée à un rythme similaire à celui que la Terre a connu, notre Galaxie contient des millions de civilisations plus anciennes que la nôtre. Si l'on suppose, comme le font plusieurs auteurs, que l'espèce humaine et la civilisation peuvent évoluer vers des stades supérieurs au stade atteint sur Terre, on peut admettre raisonnablement que certaines de ces civilisations sont des milliards d'années en avance sur nous. Il s'agirait là d'un niveau d'évolution presque inimaginable, si l'on considère qu'il y a un milliard d'années nos ancêtres étaient d'insignifiants vers de terre !
La possibilité d'une profusion de civilisations suprêmement évoluées habitant la Voie lactée a donné naissance à de nombreux scénarios de science-fiction, comme en témoigne entre autres l'abondante production cinématographique sur ce thème. Rien n'interdit de rêver au moment où l'humanité entrera en contact avec ces civilisations de l'espace galactique. Le problème, c'est que l'on a du mal à s'expliquer pourquoi ces civilisations, si elles existent vraiment, n'ont pas remodelé la Galaxie à leurs fins, tout comme nous avons remodelé de manière très visible la surface de la Terre. Nos télescopes optiques n'ont jamais aperçu quoi que ce soit dans la Galaxie qui semble artificiel. Malgré plusieurs programmes systématiques de recherche qui existent depuis quelques dizaines d'années (regroupés sous l'acronyme SETI $-$ Search for Extraterrestrial Intelligence* ), nos radiotélescopes n'ont jamais mis en évidence le moindre signal modulé qui témoignerait d'une intelligence. Si les civilisations avancées pullulent dans la Galaxie, elles le font très discrètement !
À cela, certains répondent que les signes de l'existence des extraterrestres existent et que plusieurs objets volants non identifiés (ovnis) sont en fait des vaisseaux spatiaux d'origine extraterrestre. Malheureusement, on constate que les rapports d'observation d'ovnis d'origine soi-disant extraterrestre sont systématiquement confus et ne permettent pas d'obtenir des conclusions solides. On ne semble jamais disposer d'observations corroborées par plusieurs observateurs fiables ou par des preuves photographiques évidentes. De plus, de nombreux récits de contact avec des extraterrestres se sont révélés, de l'aveu même de leurs auteurs, des histoires montées de toutes pièces. Le désir d'être au centre de l'attention des médias suffit à motiver la fabrication de tels canulars. Bien sur, on ne peut pas nier catégoriquement la possibilité de visites d'extraterrestres. Mais, jusqu'à présent, le manque de sérieux et de preuves dans ces dossiers a conduit la plupart des chercheurs qui ont étudié la question de manière scientifique et objective à douter de l'existence d'ovnis d'origine extraterrestre. Cela ne veut pas dire que les ovnis n'existent pas: de nombreuses personnes sincères voient des " objets volants non identifiés " , mais il s'agit souvent de phénomènes de nature atmosphérique, astronomique ou d'origine humaine.
Les scientifiques qui croient en la réalité d'extraterrestres évolués ne s'inquiètent pas outre mesure de l'absence de preuves concrètes de leur existence. Ils s'efforcent au contraire d'expliquer comment il se fait qu'ils passent inaperçus. Dans ce qui suit, nous allons considérer trois de leurs arguments principaux.
- 1." La technologie utilisée par les extraterrestres serait tellement différente de la nôtre que nous ne pourrions pas en percevoir les manifestations ".
Un peu comme les vers de terre ignorent sans doute l'existence de la civilisation humaine pourtant omniprésente sur Terre, on peut imaginer que la vie extraterrestre se manifeste partout dans la Galaxie, mais que les humains sont trop peu évolués pour en percevoir les signes. Les tenants de cette position font valoir, entre autres, que nos efforts pour détecter des signaux extraterrestres (notamment des émissions radio) seraient dès le départ voués à l'échec, parce que les civilisations de la Galaxie utiliseraient des moyens de communication reposant sur des principes physiques que nous n’avons pas encore découverts.
La prémisse même de cet argument soulève une objection de taille:
est-il permis de comparer le rapport de l'être humain à d'éventuels extraterrestres au rapport du ver de terre à l'être humain ? Nous ne sommes tout de même pas aussi inconscients que ces invertébrés, et nous pensons comprendre au moins les rudiments des grands principes physiques qui régissent l'Univers. Que les extraterrestres utilisent certains principes que nous ne connaissons pas, certes, mais comment expliquer qu'ils soient $c o m$ plètement indétectables ?
- 2. " Notre secteur de la Voie Iactée serait une "réserve faunique" protégée.
Cette hypothèse semble de prime abord relever de la pure science-fiction ".
Toutefois, si on admet l'existence d'une communauté de civilisations extraterrestres, on peut imaginer que celle-ci aurait de bonnes raisons de protéger de tout contact les espèces к en voie de développement $\gg$ comme la nôtre. L'histoire de l'humanité est remplie d'épisodes dans lesquels une civilisation moins avancée a été perturbée, et souvent anéantie, par le brusque contact avec une civilisation plus avancée.
Imaginons que des extraterrestres incroyablement avancés débarquent sur Terre demain matin et nous offrent tous les secrets de la science universelle sur un plateau d'argent, le libre-accès à leur technologie ainsi que des recettes pour guérir toutes les maladies et prolonger indéfiniment la vie humaine. Dans l'euphorie initiale, l'humanité serait sans doute fort reconnaissante. Mais, bien vite, toutes nos réalisations et nos aspirations seraient réduites à l'insignifiance la plus totale: transfigurée et écrasée par la supériorité d'une civilisation étrangère, l'humanité aurait perdu sa raison d'être. Certains individus pourraient se joindre à une communauté galactique, mais к l'humanité ж en tant que telle cesserait d'exister.
L'isolement des civilisations en voie de développement pourrait être une politique bénéfique non seulement pour l'intégrité de ces civilisations, mais aussi pour la diversité et la richesse de la communauté galactique. En effet, elle permettrait l'éclosion de civilisations avancées véritablement nouvelles et originales. En revanche, il est difficile d'imaginer comment l'application d'une directive absolue de non-interférence pourrait être imposée à l'échelle d'une communauté de plusieurs millions de civilisations galactiques déjà existantes.
- 3. " Des civilisations véritablement avancées seraient nécessairement discrètes parce qu'elles auraient compris que le "vrai bonheur " est intérieur : elles limiteraient leur expansion à quelques systèmes planétaires et laisseraient le reste de la Galaxie évoluer librement ".
Il s'agit là à première vue d'un argument assez séduisant, mais sans doute fort idéaliste. On peut envisager que quelques civilisations pourraient choisir une telle voie. Mais quelle est la probabilité que, sur les millions de civilisations qu'a pu engendrer la Voie lactée, aucune ne se soit livrée à une colonisation active de la Galaxie ?
Sur Terre, les êtres humains ont colonisé la totalité de la surface habitable de la planète dès qu'ils en ont eu les moyens. Dans les prochains siècles, nous aurons les moyens de nous lancer à l'assaut du système solaire et, éventuellement, de la Galaxie. S'il existe des millions de civilisations extraterrestres qui sont des milliards d'années en avance sur nous, pourquoi la Galaxie semble-t-elle encore vierge ?
Tout semble indiquer que l'hypothèse que nous avons formulée au début de cette section pèche par excès d'optimisme. Selon toute vraisemblance, l'existence d'une planète propice à la vie n'entraine pas nécessairement l’éclosion d'une civilisation technologique. Et si l'évolution de la vie sur Terre n’était même pas un scénario typique ?
À la question soulevée à la section précédente, on peut apporter une réponse beaucoup plus simple que celles que nous venons d'examiner: si nous ne percevons aucun signe des extraterrestres, c'est peut-être tout bonnement parce qu'ils n'existent pas !
Dans la section précédente, nous avons supposé que la plupart des planètes propices à la vie engendrent des civilisations avancées qui réussissent à se développer indéfiniment sans s'autodétruire. C'est ainsi que nous avons pu estimer plausible qu'il existe en ce moment dans la Galaxie plusieurs millions de civilisations avancées. D'autres hypothèses, cependant, pourraient nous obliger à remettre radicalement en question ce résultat. Nous allons en examiner trois.
- 1. "Une civilisation pourrait s'autodétruire (inévitablement ?) peu après avoir atteint le stade technologique ".
Nous sommes tous conscients des dangers potentiels qui pèsent sur la survie de l'humanité au cours des prochains siècles. La technologie donne à une espèce intelligente d'immenses possibilités, comme celle de quitter sa planète d'origine et de coloniser l'Univers. En revanche, elle rend possible aussi la destruction totale de l'écosystème planétaire, que ce soit par guerre nucléaire ou par l'empoisonnement irréversible de l'environnement.
En mettant l'accent sur les dangers de l'autodestruction, on peut imaginer une raison plausible à l'absence de civilisations avancées ailleurs dans l'Univers. D'innombrables civilisations seraient apparues au cours de l'histoire de la Voie lactée, mais elles se seraient toutes autodétruites dès les débuts de l'ère technologique*; aucune n'aurait survécu assez longtemps pour coloniser la Galaxie.
Précisons un peu cette hypothèse et admettons que la durée typique d'une civilisation technologique est de 2000 ans, par exemple. Si chaque planète propice à la vie engendre une civilisation, il naitra, comme nous l'avons vu dans la section précédente, une nouvelle civilisation tous les 400 ans. Mais comme elles durent chacune 2000 ans, on calcule facilement qu'il n'existerait que 5 civilisations $(2000 / 400)$ à la fois dans la Voie lactée. En outre, elles seraient éloignées les unes des autres de 30000 a.l. en moyenne, de sorte qu'une civilisation donnée n'aurait même pas le temps de communiquer avec ses voisines à la vitesse de la lumière avant de dispara\hatitre ! Même si on suppose que quelques civilisations parviennent à acquérir assez de sagesse pour éviter l'autodestruction, il n'en demeure pas moins que la disparition des autres limiterait grandement la possibilité que deux civilisations en viennent un jour à se rencontrer.
- 2. "L'évolution ne mène pas nécessairement à une civilisation technologique.
Il est indéniable que l'intelligence chez l'animal est un facteur qui aide à la survie, et que la sélection naturelle favorise par conséquent. Toutefois, de nombreux biologistes doutent que l'évolution mène nécessairement à la forme d'intelligence requise pour l'édification d'une civilisation technologique. En effet, une espèce hautement intelligente comme l'homo sapiens ne peut apparaitre que dans des conditions assez particulières et peut-être assez rares. Il faut d'abord que les hasards de l'évolution produisent une espèce qui ne possède pratiquement pas de ressources corporelles naturelles (rapidité de course, crocs, griffes, fourrure de protection, etc.). Il faut ensuite que cette espèce, que tout voue à l'extinction, survive assez longtemps pour que les pressions évolutives la dotent d'une intelligence supérieure capable de créer un mode de vie artificiel permettant la survie. Il y a cinq millions d'années, un observateur impartial n'aurait sans doute pas parié grand-chose sur la survie des tribus d'australopithèques perdues dans l'environnement hostile de la savane africaine. La survie de l'australopithèque et son évolution intellectuelle fulgurante - qui a mené à l'homo sapiens et à notre civilisation technologique - serait-elle en fin de compte le fruit d'un concours de circonstances hautement improbable ? Si c'était le cas, il ne serait pas impossible que la Galaxie soit remplie de planètes luxuriantes où s'épanouissent des créatures extraterrestres très intelligentes, mais si bien adaptées à leur environnement qu'elles n'éprouveraient aucun besoin de se compliquer la vie, de passer à l'ère technologique, de construire des radiotélescopes et des fusées.
- 3. "Et si l'apparition de Ia vie était en réalité extrêmement improbable ?".
L'apparition assez rapide de la vie sur Terre pourrait être interprétée comme le signe que le passage du non-vivant au vivant est une étape qui n'est pas difficile à franchir. Toutefois, il faut être très prudent lorsqu'on énonce un principe général à partir d'un seul cas. La question de la facilité de l'apparition de la vie sur une planète aux conditions propices divise les scientifiques. Certains d'entre eux $-$ dont un bon nombre sont astronomes $-$ considèrent que l'apparition de la vie sur une planète adéquate est pratiquement inévitable. Par contre, d'autres scientifiques - surtout des biologistes qui se sont penchés sur le problème de la transition entre le non-vivant et le vivant $-$ considèrent que l'émergence de la vie est loin d'être probable, même dans des conditions idéales.
Ce dernier point de vue peut être illustré à l'aide de l'analogie suivante. Vous achetez un billet de loterie à six chiffres, et vous assistez au tirage. Le premier chiffre tiré correspond à celui qui est inscrit sur votre billet. Le deuxième aussi. De même pour le troisième, le quatrième, le cinquième et, finalement, le sixième. Vous gagnez le gros lot ! L'un après l'autre, tous les chiffres tirés se sont avérés les bons, comme s'il y avait eu à l'œuvre un principe nécessaire de correspondance. Mais allez-vous réellement en conclure que chaque correspondance entre le chiffre tiré et le chiffre marqué sur le billet était inévitable ? Bien sur que non, car vous savez fort bien que votre billet gagnant n'est pas représentatif: il y a des centaines de milliers de billets perdants.
On peut établir un parallèle entre la loterie et l'évolution de la vie sur Terre. Tout comme chacun des chiffres du billet était le bon, chacune des étapes de l'évolution sur Terre a réussi; le gros lot, c'est nous ! Mais il
y a une différence majeure entre un tirage et l'évolution. Le joueur de loterie qui perd est conscient que son billet n'était pas le bon, et il s'y résigne. En revanche, si la Terre n'avait pas gagné le gros lot, il n'y aurait tout simplement personne pour s'en rendre compte !
Ainsi, tout ce qu'on peut affirmer avec certitude, c'est que la Terre
a gagné le $\leftrightarrow$ gros lot ж. Puisqu'on ne serait pas là autrement, on ne peut pas estimer à partir de ce seul fait s'il y a beaucoup ou peu de к billets gagnants ". Si tous les billets sont gagnants, alors la Galaxie regorge de vie. À l'opposé, on peut supposer que l'émergence de la vie serait si improbable que nous serions seuls dans la Galaxie, voire dans tout l'Univers observable.
Des biologistes estiment que la probabilité de l'émergence spontanée d'une molécule autoreproductrice dans un environnement idéal serait aussi faible qu'une chance sur $10^{40} !$ Par contre, on doit considérer que, dans un Univers infini, n'importe quelle probabilité, si faible soit-elle, peut conduire à la vie. Comme l'Univers observable contient environ $10^{22}$ étoiles $\left(10^{11} \text { galaxies de } 10^{11} \text { étoiles), il faudrait parcourir l'équivalent de } 10^{18}\right.$ Univers observables avant de rencontrer une autre planète abritant la vie. Notre planète serait unique dans tout l'Univers observable, et la plus proche planète comparable serait située à environ 30 millions de milliards d'annéeslumière !
Si les biologistes les plus pessimistes ont raison, alors tous les facteurs de probabilité concernant les environnements propices à la vie sont sans importance, car nous serions de toute façon absolument seuls dans l'Univers observable. C'est une éventualité qui peut sembler déprimante et même terrifiante, mais qui devrait nous aider à prendre conscience de notre importance unique. Car si l'humanité devait finalement s'autodétruire, ce ne serait pas seulement une catastrophe pour notre espèce et notre planète, ce serait une tragédie d'ampleur véritablement cosmique.
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