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Nous avons déjà dit que la détermination de la métrique de l'espace-temps riemannien constitue le
problème fondamental de la relativité générale. Ce sont en effet les composantes
du
tenseur métrique ainsi que les symboles de Christoffel, obtenus à partir des
, qui
interviennent dans toutes les équations de la relativité générale. La détermination des
pour un système physique donné est obtenue à partir des équations d'Einstein
ou équations du champ de gravitation.
Avant de déterminer les équations d'Einstein, reprenons quelques commentaires de T. Damour à propos de
la relativité générale :
On peut résumer la théorie de la relativité générale, ou théorie de la gravitation
d'Einstein, en une phrase : l'Espace-Temps est une structure élastique qui est déformée par la
présence en son sein de Masse-Énergie.
En ce qui concerne la représentation de cette déformation, T. Damour critique l'image classique qui
traîne dans de nombreux ouvrages ou articles, à savoir :
Celle d'une balle massive posée sur une toile élastique, et la déformant sous son poids ... [Cette
image] suggère que la déformation de la toile ne peut se penser que comme une courbure dans un espace
extérieur à la toile, et aussi que cette déformation n'existe que grâce à un champ gravitationnel
extérieur s'exerçant sur la balle. Or, justement, ce qui fait tout le sel de la théorie d'Einstein,
c'est que la déformation de l'espace-temps est une affaire purement interne à cet espace-temps, et n'a
pas besoin de dimensions extérieures pour être pensée.
Afin de rendre intuitive la détermination de cette déformation, T. Damour propose de présenter la
théorie de la gravitation d'Einstein comme une généralisation de la loi d'élasticité de Hooke.
Rappelons que, selon cette dernière, la déformation d'une structure élastique est proportionnelle à
la tension qui s'exerce sur cette structure. Le coefficient de proportionnalité mesure l'élasticité de la structure considérée. T. Damour résume alors la démarche d'Einstein :
C'est, semble-t-il, à Zurich, au mois d'août 1912, qu'Einstein fit un "pas" conceptuel très
important vers la construction de la relativité générale. Il comprit essentiellement ce que nous avons
expliqué ci-desus, c'est-à-dire :
(i) que le champ gravitationnel est équivalent à une déformation de la géométrie de l'espace-temps,
et doit donc se décrire par les dix composantes du "tenseur géochronométrique"
,
(ii) que la source du "champ
" est la distribution de masse-énergie, d'impulsion et de tension
décrite par un objet à dix composantes, le tenseur d'énergie-tension
, et enfin,
(iii) que l'équation fondamentale de la gravitation relativiste doit avoir la forme qu'une loi
d'élasticité de l'espace-temps.
Ainsi que le précise T. Damour dans une note, Einstein n'a jamais utilisé l'expression de la loi
d'élasticité de l'espace-temps, mais que ce n'est pas trahir l'idée centrale de sa théorie, mais
plutôt l'éclairer, en utlisant cette image.
Les équations d'Einstein permettant de décrire l'espace-temps riemannien constituent un postulat
supplémentaire, indépendant du principe d'équivalence ainsi que celui des géodésiques. Ces
équations pourraient donc être posées a priori. Cependant, leur découverte a naturellement été
orientée afin de satisfaire certaines contraintes que nous allons passer en revue.
Contrainte newtonienne : les équations de la gravitation relativiste doivent se réduire à
l'équation de Poisson à la limite newtonienne. Ce passage à la limite s'effectue lorsque les vitesses
de toutes les particules dans un champ de gravitation sont petites, ce qui exige en même temps que le champ
gravitationnel soit lui-même faible.
Dans l'équation de Poisson figure un laplacien. Par suite, on peut imposer aux équations relativistes
d'être du second ordre en ce qui concerne les dérivées du tenseur métrique
. De
plus, ces dérivées doivent y apparaître linéairement. Les conditions ci-dessus ne sont évidemment
pas absolument nécessaires pour aboutir à une limite newtonienne. Ce sont cependant les conditions les
plus simples mais il est toujours possible d'en imaginer de plus compliquées.
Courbure nulle à l'infini : lorsqu'on s'éloigne de toute masse attractive, la gravitation devient
nulle à l'infini. Les équations cherchées doivent permettre de retrouver une gravitation nulle, donc
une courbure nulle, lorsque les coordonnées tendent vers l'infini.
Principe de relativité généralisé : les équations cherchées doivent être covariantes afin
de satisfaire au principe de relativité généralisé. Elles s'exprimeront sous forme tensorielle mais
tous les tenseurs qui figurent dans une équation doivent être du même ordre, autrement dit le nombre de
composantes de tous les tenseurs utilisés doit être identique.
De plus, si un tenseur est conservatif, il ne peut être égal à un autre tenseur que si ce dernier est
également conservatif. La première intuition d'Einstein fut, par exemple, de former une équation en
écrivant que le tenseur de Ricci est proportionnel au tenseur impulsion-énergie. Ce dernier est
conservatif mais le tenseur de Ricci ne l'est pas et cette équation ne pouvait convenir.
C'est l'intuition extraordinaire d'Einstein qui lui permit d'aboutir aux équations relativistes de la
gravitation. Cette intuition reposait fondamentalement sur l'idée que la courbure d'un espace-temps
riemannien a pour source physique la matière et l'énergie, représentées par le tenseur
impulsion-énergie. Il fallait donc obtenir une certaine relation entre la chronogéométrie
gravitationnelle et sa source.
Cette courbure est décrite par le tenseur de Riemann-Christoffel
qui est un tenseur
du quatrième ordre ; c'est la mesure la plus complète possible de la déformation locale d'un
espace-temps courbe. Ce tenseur ne peut cependant pas être identifé, à un coefficient de
proportionnalité près, au tenseur impulsion-énergie total
donné par (2.105), car
celui-ci est du second ordre. Il faut donc trouver un tenseur
tel que :
 |
(4.26) |
Le coefficient de proportionnalité sera déterminé par comparaison avec la limite newtonienne
de l'équation (4.26). Soit la constante de gravitation, on a :
 |
(4.27) |
Par contractions successives du tenseur
, on obtient le tenseur de Ricci
puis le scalaire de courbure . Ce sont des quantités qui mesurent elles aussi la
déformation de l'espace-temps mais d'une manière incomplète. Une combinaison du tenseur de Ricci et du
scalaire de courbure est donnée par le tenseur appelé tenseur d'Einstein. Il a pour expression :
 |
(4.28) |
C'est un tenseur du deuxième ordre, de signification purement chronogéométrique, qui vérifie les
contraintes énoncées ci-dessus, à savoir :
1 - Les composantes
du tenseur d'Einstein ne dépendent que des potentiels de
gravitation
et de leurs dérivées des deux premiers ordres. Ces composantes sont
linéaires par rapport aux dérivées du second ordre.
2 - Le tenseur
satisfait aux équations de conservation :
 |
(4.29) |
Le tenseur d'Einstein n'est pas le plus général vérifiant les conditions ci-dessus. Élie Cartan a
démontré que les seuls tenseurs satisfaisant aux deux conditions énoncés ci-dessus sont données, à
un facteur multiplicatif près, par :
 |
(4.30) |
Le système d'équations aux dérivées partielles correspondant à (4.26) s'écrit alors,
compte tenu de (4.27) et (4.30) :
 |
(4.31) |
La constante est appelée constante cosmologique et ne fut introduite par Einstein que lors
d'applications à la cosmologie. Les équations proposées en premier lieu par Einstein pour les
potentiels de gravitation sont les suivantes :
 |
(4.32) |
Les équations (4.32) sont appelées équations d'Einstein ou équations du champ de
gravitation. Ce sont les équations fondamentales de la relativité générale.
Les équations d'Einstein, de la forme
, relient une déformation locale de la chronogéométrie de l'espace-temps mesurée par
à la
présence de tensions, définies par
. Ainsi que le fait remarquer T. Damour, les
équations (4.32) sont analogues aux équations fondamentales de Hooke décrivant l'élasticité
d'un milieu peu déformé.
Le coefficient
peut donc être considéré comme une mesure de l'élasticité
de l'espace-temps. Calculons un ordre de grandeur de la "constante d'élasticité" . Dans le
système international d'unités, la constante de gravitation est égale à :
; la vitesse de la lumière dans le vide a pour valeur :
. On obtient une valeur de d'un ordre de grandeur égal à . Autant
dire que l'élasticité de l'espace-temps est extraordinairement petite ou que, inversement, la
"rigidité" de l'espace-temps est extrêmement grande. Dans son ouvrage, T. Damour conclut ainsi :
Cela explique pourquoi, pendant des millénaires, on avait pu supposer que l'espace et le temps
étaient des structures "rigides", non influencées par la présence d'énergie ou de tensions. Il faut
concentrer d'énormes densités d'énergie ou de tensions pour réussir à déformer de façon
significative la gelée espace-temps.
Afin de déterminer la valeur de la constante d'élasticité , étudions le passage à la
limite dans les équations du champ gravitationnel conduisant à la loi d'attraction de Newton. Dans ce
but, les vitesses des particules ainsi que le champ gravitationnel sont supposés faibles.
L'expression de la composante du tenseur métrique est donnée, dans le cas de l'approximation
newtonienne par (4.22), soit :
 |
(4.33) |
Considérons un tenseur particulier d'impulsion-énergie
d'un système macroscopique
constitué de particules en mouvement. La masse spécifique de ce système est notée ; c'est la
somme des masses au repos des particules dans l'unité de volume. Dans l'équation (2.82), le tenseur
d'impulsion-énergie se réduit à
pour un tenseur de
contraintes
.
Supposons un mouvement macroscopique très lent dans le champ de gravitation, toutes les composantes
spatiales de la quadrivitesse peuvent être considérées comme négligeables ; seule la composante
temporelle n'est pas supposée nulle ; elle est telle que :
. Par conséquent, seule la
composante temporelle
subsiste et elle est égale à
. Le scalaire
sera égal à la même quantité
.
Les équations d'Einstein (4.32) s'écrivent pour les composantes mixtes :
 |
(4.34) |
La contraction de cette dernière expression sur les indices et (qui varient de 1 à 4),
donne :
 |
(4.35) |
Compte tenu de (4.35), les équations (4.34) s'écrivent :
 |
(4.36) |
On obtient ainsi, pour
:
 |
(4.37) |
Toutes les autres équations données par (4.36) s'annulent indentiquement à l'approximation
considérée.
La composante
du tenseur de Ricci se calcule en fonction des symboles de Christoffel à partir
des formules suivantes :
 |
(4.38) |
et
 |
(4.39) |
Dans ces formules, les termes qui contiennent les produits des
sont des
infiniment petits du second ordre. D'autre part, les termes où figurent des dérivées par rapport à
sont petits, en comparaison des autres dérivées par rapport à
, car elles
contiennent des puissances supplémentaires en . En définitive, l'expression de la composante
se réduit à :
. La
formule suivante donne le calcul des symboles de Christoffel en fonction des
:
 |
(4.40) |
Compte tenu des approximations sur les dérivées et de la valeur de donnée par (4.33),
on obtient :
 |
(4.41) |
L'expression de la composante
, compte tenu de (4.41), est finalement :
 |
(4.42) |
Reportant l'expression (4.37) de
dans (4.42), on obtient :
 |
(4.43) |
L'équation du champ de gravitation newtonien a pour expression classique :
 |
(4.44) |
La comparaison de ces deux dernières équations nous donne finalement l'expression du coefficient
d'élasticité de l'espace-temps :
 |
(4.45) |
Cette constante permet ainsi de déterminer complètement les équations d'Einstein. Celles-ci
s'appliquent à tous les problèmes dans lesquels la gravitation intervient de manière importante :
chute des corps, déviation de la lumière, orbite des planètes et des satellites, mouvement des
étoiles, etc. Ces équations vont permettre d'envisager une cosmologie, non pas fondée sur des
hypothèses arbitraires mais comme une étude de l'espace-temps dans l'ensemble de l'univers.
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